L’Europe domine le monde
XIXe Siècle

IV- L’INDUSTRIALISATION DE L’EUROPE

1) Pourquoi l’Europe de l’Ouest ?

  Plusieurs facteurs sont nécessaires à l’industrialisation d’un pays : l’organisation du travail à plus grand échelle ; la division accrue du travail ; le remplacement de l’homme ou de l’animal par des machines. L’expression « révolution industrielle » est employée pour la première fois par un Français au début du XIXe Siècle pour décrire les changements économiques et sociaux en cours.

Mais pourquoi l’industrialisation moderne a-t-elle d’abord touché l’Europe de l’Ouest ? Si le principe des machines à vapeur était connu depuis longtemps, il manquait des structures économiques et les moyens technologiques nécessaires pour rendre le développement possible. Au XVIIIe Siècle, l’Europe a rattrapé et dépassé des pays comme la Chine, qui, jusqu’au Moyen-Age, la devançaient technologiquement. Puis, en orientant le commerce vers d’autres pays, l’Europe a pu bénéficier de ressources accrues, élargir ses marchés, profiter de son avance technologique et exporter des capitaux. L’industrie en plein essor peut aisément employer le nombre croissant de travailleurs libérés de la terre.

Si l’industrialisation a des traits communs dans toute l’Europe, chaque pays mais surtout chaque région a son originalité. Avec le développement des techniques d’extraction de l’acier par la fusion, la géographie de l’industrialisation est étroitement liée aux régions dont les sols abritent des gisements de charbon et de fer, notamment sur une ceinture qui s’étend du pays de Galles au bassin du Donets, en passant par les Midlands, le nord de l’Angleterre, le bassin franco-belge, la Ruhr et la Silésie. Rapidement, la vapeur comme source d’énergie révolutionnaire s’impose, même si l’énergie hydraulique continue à jouer un rôle considérable dans de nombreuses industries pendant une grande partie du XIXe Siècle.

2) L’extension de l’industrialisation

La Grande-Bretagne, nous l’avons vu, et plus précisément les Midlands, inaugure la révolution industrielle. Ce qui pousse mes inventeurs anglais à faire preuve d’ingéniosité. Ainsi, grâce aux inventions de James Hargreaves, Richard Arkwright et Samuel Crompton, l’industrie cotonnière s’équipe de métiers à filer mécaniques. Les usines fonctionnent à la vapeur, avec l’invention de la machine à vapeur rotative de James Watt. La concentration de la production dans les usines permet d’économiser sur les transports, d’opérer une nouvelle organisation du travail, d’utiliser des équipements plus puissants et d’imposer une discipline de travail et le respect des détails. Vers 1850, les machines à vapeur britanniques produisent une énergie équivalente à plus de 1,2 million de chevaux-vapeur, soit plus de la moitié de la production européenne ; 2,5 millions de tonnes de minerai de fer sont fondues en Grande-Bretagne, soit plus de dix fois la production de l’Allemagne. Surnommée l’« atelier du monde », la Grande-Bretagne connaît une période de croissance économique exceptionnelle et devient la nation la p:us riche du monde ; elle représente environ la moitié du marché mondial des produits manufacturés et environ un tiers de la production industrielle mondiale.

L’une des caractéristiques du développement industriel du XIXe Siècle est le transfert du savoir technologique, commercial et financier de la Grande-Bretagne vers les pays européens.

La Belgique est le premier pays du contient à connaît la révolution industrielle. Comme l’Angleterre, elle possède des réserves naturelles de charbon, des gisements de minerai, de nombreux centres commerciaux florissants -la ville textile de Gand, par exemple) et une position géographique stratégique entre la France et l’Allemagne. L’interdiction d’importer des produits britanniques en Europe lors des guerres napoléoniennes fait fleurir l’industrie du coton à Gand. En 1823, le premier haut fourneau est construit dans le bassin houiller liégeois. Il utilise du coke pour la fusion ainsi que du minerai de fer d’origine locale. Grâce à cette innovation, les industries du charbon, du fer, de l’acier et l’industrie chimique vont connaître un développement rapide dans le bassin de Sambre-Meuse. L’indépendance de la Belgique en 1831 engendre une accélération de son économie ; entre 1830 et 1850, la production de charbon passe de 2 à 6 millions de tonnes et le nombre de machines à vapeur utilisées dans l’industrie passe de 354 à environ 2300.

En France, les innovations technologiques ont d’abord touché les grandes villes comme Paris et Lyon, les mines de charbon du nord du pays et du Massif central ainsi que les industries textiles du Nord-Ouest. L’industrie du lin fleurit ; l’importance de l’industrie de la soie a quadruplé dans la première moitié du XIXe Siècle. Après les années 1820, le coton est travaillé en usine. La production de charbon français augmente, mais le pays a néanmoins recours à l’importation pour pouvoir satisfaire la demande de son industrie en plein essor. Le développement de l’économie française s’accélère pendant le Second Empire (1852-1870), le volume des importations et des exportations se multipliant par 400.

D’importants changements bouleversent les techniques financières. Les frères Pereire dominent la scène avec le Crédit immobilier, dont les fonds financent pour beaucoup l’essor du chemin de fer. D’autres institutions bancaires, comme le Crédit foncier et le Crédit Lyonnais, contribuent également à l’expansion de la grande industrie. Entre 1850 et 1870, la production française de charbon et d’acier triple, celle de l’énergie quintuple et les usines emploient deux fois plus d’ouvriers. Les crises financières de 1857 et 1863, ralentissent l’économie à partir de 1865. Néanmoins, le milieu du XIXe Siècle est une période de prospérité croissante pour la plupart des couches de la société française.

En Allemagne, la division politique jusqu’en 1870 freine considérablement l’industrialisation, bien que l’union douanière entre les Etats allemands (Zollverein) contribue à réduire ce handicap. Avant 1850, le développement industriel ne touche qu’un petit nombre de ville et de régions : Hambourg et Brême abritent des industries portuaires ; en Bohême, province de l’Empire autrichien des Habsbourg, la production de fer se développe ; en Saxe, naissent de petites usines textiles pour le travail du coton. On trouve des mines de charbon en Silésie et dans les territoires prussiens du bassin rhénan ; la Ruhr devient fameuse pour ses réserves de charbon de très bonne qualité ; les industries se développent d’abord le long du Rhin, puis rapidement dans le nord du pays. La vallée de la Wupper est l’un des premiers centres industriels allemands. Au début du siècle, elle était déjà renommée pour ses exportations de tissus et pour ses industries du coton, du charbon et du fer (avec l’importante transition de la fonte au charbon de bois à la fonte au coke) . La croissance régulière des industries de la vallée de la Wupper est stimulée par des facteurs essentiels tels que les facilités de transport, la main-d’œuvre, les capitaux et le dynamisme des entrepreneurs. Ces facteurs ont joué un rôle similaire dans le reste de l’Allemagne, notamment dans la Ruhr, région d’implantation de ka société Krupp (Essen, 1810)

3) Transports et communication

L’industrie et l’agriculture n’auraient pu se développer à ce rythme si les transports sur terre et sur mer n’avaient connu une révolution parallèle. En Grande-Bretagne, sous la reine Victoria et grâce à l’apparition des routes longtemps encore à péage, des canaux, puis des chemins de fer et des bateaux à vapeur, le transport des matières premières (notamment le charbon), des produits manufacturés et des personnes devient onéreux. Au milieu du XIXe Siècle, la Grande-Bretagne totalise 8000 km de voies ferrées même si son développement dépend du bon-vouloir d’une pléthore de sociétés privées souvent concurrentes. De nouvelles zones industrielles naissent le long des voies ferrées et des canaux qui permettent de transporter les produits vers les marchés éloignés ; les ports s’agrandissent pour faire face à l’intensification du commerce. En 1851, année de la première exposition universelle à Londres, la moitié des voies ferrées mondiales sont anglaises comme la moitié des long-courriers parcourant les mers du monde.

En Belgique, un ambitieux réseau de voies ferrées est construit. Il est centralisé atout de Bruxelles et dessert les principaux axes menant en France, en Allemagne, en Hollande, et vers les ports desservant la Grande-Bretagne. L’Etat ayant mis en place la structure première du réseau, les sociétés privées sont encouragées à construire de nouvelles lignes. En 1870, le réseau revient sous le contrôle de l’Etat belge. Bénéficiant de la proximité du bassin charbonnier de Sambre-Meuse, le port d’Anvers prospère et la ville se transforme en un important centre de commerce international. Un réseau très dense de voies navigables vient renforcer les voies ferrées pour le transport des pondéreux.

En France, les premières voies ferrées sont construites vers 1830 en partie par l’Etat, en partie par des sociétés privées. Le dessin du réseau, centralisé autour de Paris pour des considérations politiques ou administratives, est plus cohérent que celui de la Grande-Bretagne. Néanmoins, en 185., la France ne compte que 3200 km de voies ferrées. Mais le réseau est suffisamment important pour jouer un rôle dans le rapprochement des régions. Sous le Second Empire, l’Etat nationalise, puis agrandit le réseau de canaux. Le télégraphe électrique est installé, relie les villes les plus importantes du pays, et le réseau ferroviaire atteint 19 200 km en 1870. Dans les Alpes, le percement du tunnel du Mont-Cenis relie la France et l’Italie.

Un certain nombre d’Etats allemands construisent et contrôlent le réseau ferroviaire. En 1850, le réseau allemand équivaut à deux fois celui de la France. Au départ, il renforce la division entre les différents Etats, mais à long terme, alors que la construction d’une Allemagne unie se précise, il sert au contraire de catalyseur dans l’unification du pays. Le développement du Zollverein permet la densification du réseau ferroviaire. Grâce à ce réseau, l’Allemagne prend une position stratégique en Europe centrale et devient un carrefour des axes commerciaux européens. Le chemin de fer contribue également à l’unification de l’Empire germanique et à l’édification de l’Etat-nation.

L’Etat espagnol finance la construction d’un réseau ferroviaire, centralisé autour de Madrid, mais adopte un écartement des rails différent de celui de la France et du reste de l’Europe, ce qui gêne les communications avec l’extérieur.

A la fin du siècle, le télégraphe relie déjà les pays d’Europe et, en 1866, le premier câble transatlantique entre en fonction. En 1888, le premier Orient-Express relie Paris à Constantinople et le Transsibérien est achevé en 1904. Grâce à l’industrialistion, les relations maritimes entre les différents pays européens s’améliorent : le creusement du Nieuwe Waterweg à Rotterdam et du Noordzee Kanaal à Amsterdam transforme les Pays-Bas en un point de transit majeur vers l’arrière-pays allemand, aux dépens d’Anvers qui avait bénéficié de la suppression des taxes sur l’Escaut. Le creusement, par les Allemands, du canal de Kiel permet de relier la Baltique à la mer du Nord. En Grande-Bretagne, grâce au creusement du canal de Manchester, les long-courriers peuvent pénétrer plus profondément au cœur du Nord industriel.

4) Un âge de progrès

 En 1870, la Belgique, l’Allemagne, la France et la Suisse ont rejoint la Grande-Bretagne comme puissances industrielles. En Italie, l’industrialisation se limite au nord du pays (le Piémont et la région de Gênes), grâce aux gisements de matières premières et aux bonnes terres cultivables. En Scandinavie, la Suède développe des industries métallurgiques et d’équipement et la Norvège bénéficie, dans l’industrie textile, du transfert technologique britannique. Le Portugal et l’Espagne restent des pays principalement agricoles. En Espagne toutefois, le développement du chemin de fer et la nouvelle industrie sidérurgique créent une demande en charbon qui se traduit par l’exploitation minière dans les Asturies. Dans l’Empire des Habsbourg, la modernisation de l’économie ne commence qu’à la fin du XIXe Siècle principalement en Bohême.

Pendant les dernières années du XIXe Siècle, l’équilibre des puissances industrielles, dont les rivalités sont exacerbées par la mise en place de barrières douanières, bascule. L’ère de la suprématie économique britannique s’achève. Certes, la Grande-Bretagne conserve sa politique de libre-échange et continue à devancer les autres nations industrielles. Mais, en 1900, l’Allemagne domine l’Europe en électrotechnique et le monde dans l’industrie chimique. Les Etats-Unis, qui bénéficient des transferts de technologie européens deviennent un concurrent sérieux.

A la fin du XIXe Siècle, l’Europe et les nations européennes se sont partagé la quasi-totalité du monde, en élargissant ou en établissant de vastes empires coloniaux. Les nations industrialisées profitent des expositions universelles pour faire étalage de leur puissance économique et de l’étendue de leur grandeur coloniale. Néanmoins, malgré certains bénéfices comme l’amélioration des soins médicaux, l’expansion coloniale européenne a des conséquences tragiques pour les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Australie qui sont souvent aussi impitoyablement exploités que les ressources de leurs continents.

Accompagnant l’industrialisation européenne, les progrès scientifiques et technologiques sont considérables. Des savants comme Volta, Ampère, Ohm, Davy, Henry et Faraday développent les recherches sur l’électricité. Leurs découvertes commencent à être appliquées dès les années 1830. En 1866, Ernst von Siemens invente la dynamo. Mais l’usage de l’électricité pour l’éclairage reste peu répandu et les usines ne fonctionnent encore que très rarement à l’électricité. Pendant les années 1890, l’Italien Guglielmo Marconi met au point la télégraphie sans fil. En France, les frères Lumière inventent le cinématographe : le premier cinéma du monde ouvre ses portes à Paris en 1896.

Des progrès sont également réalisés dans la technique du moteur à combustion interne. En 1860, le Français Etienne Lenoir réussit à faire avancer un véhicule grâce à un moteur de combustion interne. En 1873, l’Autrichien Siegfried Markus présente une automobile lors de l’exposition de Vienne, mais ce sont deux Allemands, Gottlieb Daimler et Karl Benz, les « pères de l’automobile », qui fabriquent et perfectionnent les véhicules. Après 1880, de nombreux inventeurs, dont les François René Panhard et Emile Levassor, travaillent sur le moteur à combustion interne.

Mais déjà, des savants s’inquiètent des conséquences de l’industrialisation sur l’environnement. En 1827, le mathématicien français Joseph Fourier, montre que les émissions de dioxyde de carbone menacent de réchauffer l’atmosphère. Plus tard, le savant suédois Svante Arrhenius parle d’ « effet de serre ». Au début de XXe Siècle, les scientifiques annoncent l’aube de l’ère du nucléaire avec tous les avantages et les dangers qui s’y rattachent.

Les conditions de vie s’améliorant, notamment pour les classes moyennes, les loisirs organisés prennent de l’importance et deviennent l’objet de commerce. Grâce au réseau ferroviaire, stations balnéaires, thermales et champs de courses deviennent plus accessibles. Visiter l’Europe devient à la mode. Thomas Cook, l’un des premiers agents du tourisme, organise son premier voyage en Suisse en 1863. Plus tard, il invente les Travellers’ cheques.

L’alpinisme se développe, et des sommets alpins comme le Wetterhorn (1854) et le Matterhorn (1865) sont vaincus. Après 1890, le ski, inventé en Suède cinq mille auparavant, s’élève au rang de véritable sport. La natation fait de plus en plus d’adeptes : en 1875, Vaptain Webb traverse la Manche à la nage. La bicyclette, bénéficiant des progrès technologiques et d’une production de masse, prend son essor. Le premier Tour de France a lieu en 1903. En 1894, les courses automobiles font leurs débuts avec le premier essai chronométré entre Paris et Rouen, puis en 1895 Paris-Bordeaux.

Les activités sportives se structurent. Les règles du football sont normalisées et la Fédération internationale de football est fondée en 1904. En rugby, un championnat international comprenant la France et l’Angleterre est institué en 1894. Le tennis gagne en popularité. Le « Tennis Club » de Wimbledon devient le centre des matchs internationaux en 1877. En 1876, la première patinoire artificielle ouvre à Londres et les premiers championnats de patinage artistique ont lieu en 1896. Au début du XXe Siècle, des fédérations d’athlétisme existent déjà en Grande-Bretagne, en Belgique, en Suède, en Grèce, en Italie et en Allemagne.

Le baron Pierre de Coubertin fait revivre les jeux Olympiques antiques qui sont inaugurés à Athènes en 1896. Coubertin espère que le sport va aider à atténuer les rivalités entre les différentes nations. Mais, bien vite, les jeux Olympiques servent le prestige des politiques nationales.

5) Les conséquences de l’industrialisation

 L’industrialisation a bouleversé l’histoire de l’homme aussi profondément que l’apparition de l’agriculture au Néolithique, huit millénaires auparavant. Jamais l’Europe n’avait subi de mutations aussi soudaines et marquantes.

Entre 1880 et 1914, l’Europe est balayée par un vent de modernisme teinté d’optimisme. Les Européens croient au progrès et ne craignent pas l’avenir. La civilisation européenne de cette époque dépasse les précédentes par son esprit d’entreprise, son adaptabilité et sa confiance en soi. Grâce à ces atouts, sa technologie fait bientôt le tour du monde. En effet, l’industrialisation crée des conditions optimales pour une ouverture sur le monde. Les nations européennes peuvent étendre leur suprématie grâce à leur influence commerciale, culturelle et diplomatique. Lors des vingt-cinq dernières années du XIXe Siècle, de nouveaux territoires sont incorporés aux empires déjà formés, soit parce qu’ils sont conquis, soit parce qu’ils sont découverts par les Européens, en Afrique principalement.

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