Guillaume Ier le Conquérant

(Falaise, vers 1027 - Rouen, 1087)

Roi d'Angleterre de 1066 à 1087

Né aux alentours de 1027, Guillaume est le fils illégitime du duc Robert Ier de Normandie et d’Herleve (également connue sous le nom d’Arlette), fille d’un tanneur de Falaise. Surnommé «Guillaume le Bâtard » par ses contemporains, son illégitimité conditionne sa jeunesse. A la mort de son père, en 1035,Guillaume est reconnu comme héritier par sa famille ; c’est une exception à une règle générale qui interdit jusqu’à présent la succession assurée par une descendance non légitimée. Son grand oncle se charge de la direction du duché de Normandie pendant la minorité de Guillaume et son souverain, le roi de France Henri Ier, le fait chevalier à l’âge de quinze ans.

A partir de 1047, Guillaume se charge avec succès de la rébellion des nobles voisins ; son ancien allié, le roi Henri Ier, tente des invasions en 1054 et en 1057, celles-ci se soldant par des échecs, à l’image de la défaite des forces françaises à la bataille de Mortemer. Les succès militaires de Guillaume et la réputation qu’il acquiert dès lors l’aident à négocier son mariage avec Mathilde, fille du comte Baudouin V de Flandre. Au moment de l’invasion de l’Angleterre, Guillaume se révèle être très expérimenté et redoutable même, un chef et un administrateur qui a réussi à unifier la Normandie et qui a inspiré crainte et respect à l’étranger.

La revendication du duc Guillaume pour le trône d’Angleterre découle de l’affirmation qu’Edouard le Confesseur lui a promis la couronne (c’est un cousin éloigné et dont Harold II – qui a juré en 1064 de respecter le droit de Guillaume à succéder à Edouard le Confesseur – lui a par conséquent usurpé le couronne). Bientôt, Guillaume obtient le soutien de l’Empereur Henri IV et l’approbation du Pape. En sept mois, il prépare soigneusement son invasion, rassemblant quelques 600 navires de transport pour emmener environ 700O hommes (à savoir que 2000 à 3000 d’entre eux sont des cavaliers) pour traverser la Manche. Le 28 septembre 1066, par un vent favorable, il débarque sans aucune difficulté à Pevensey et, en quelques jours, lève des fortifications à Hastings. Alors que le roi Harold vient de battre dans une toute première invasion le roi de Norvège à la bataille de Stamford Bridge, près de York, en septembre 1066, il entreprend une marche forcée vers le sud, couvrant 250 miles en près de neuf jours pour combattre la nouvelle menace ; il rassemble des renforts inexpérimentés pour remplacer les plus anciens soldats, épuisés par leur marche.

A la bataille de Senlac, près d’Hastings, le 14 octobre 1066, l’armée épuisée d’Harold fait face à la cavalerie de Guillaume, appuyée par les archers. En dépit de leur fatigue, les troupes du roi Harold sont à nombre égal (elles comprennent la meilleure infanterie d’Europe) et ont l’avantage d’être situées sur la colline, au-dessus des positions normandes.

Les premiers assauts des Normands échouent et la rumeur court alors que Guillaume a été tué ; c’est à ce moment que celui-ci apparaît, parcourant les rangs, ôtant son casque pour montrer qu’il est toujours parmi ses soldats. La bataille voit des affrontements très durs. Trois chevaux de Guillaume sont tués devant lui. Il coordonne habilement ses archers et sa cavalerie, ce qui manque chez son adversaire. Au cours d’un nouvel assaut normand, Harold meurt, frappé par une flèche puis fauché par l’épée d’un chevalier. Les forces anglaises prennent la fuite. C’est sur ce lieu, où se déroula la célèbre bataille d’Hastings, que le roi Guillaume Ier le Conquérant fera acte de pénitence, en faisant bâtir une abbaye accompagnée d’un maître-autel occupant l’endroit où tomba Harold (1070). Les ruines de l’Abbaye de Battle, ainsi que sa ville, qui s’est construite autour du monument au fil des décennies, sont encore aujourd’hui un endroit très visité.

Guillaume est couronné le jour de Noël 1066 en l’abbaye de Westminster. Trois mois plus tard, il s’assure de la stabilité nécessaire en Angleterre et repart en Normandie, laissant le soin à deux co-régents (l’un des deux est son demi-frère, Odo, évêque de Bayeux, qui commandera plus tard le tapisserie de Bayeux) d’administrer le royaume nouvellement conquis. Toutefois, six ans sont essentiels à Guillaume pour consolider ses conquêtes ; après ces six ans, le roi reste confronté à des luttes et des complots des deux côtés de la Manche. En 1068, les fils d’Harold soulèvent le sud-ouest de la côte anglaise (occupée par des représentants locaux du roi) et des soulèvements sur les territoires gallois à Marches, Devon et Cornouailles ont lieu. Guillaume Ier nomme des Earls (des comtes) qui, au pays de Galles et dans tout le reste du royaume, entreprennent de maintenir les frontières menacées et garantir la sécurité intérieure.

En 1069, les Danois, en alliance avec le prince Edgar (arrière-petit-fils d’Ethelred) et d’autres nobles anglais, envahissent le nord et prennent York. Assurant la tête de la contre-offensive et se chargeant du soulèvement de Stafford, Guillaume Ier repousse les Danois vers leurs bateaux sur le Humber (sur la côté est de l’Angleterre). Dans une campagne douloureuse qui dure jusqu’en 1070, le roi dévaste Mercia et Northumbria pour couper les éventuels ravitaillements des Danois et empêcher le rétablissement d’une résistance anglaise. Les églises et les monastères sont brûlés et les terres agricoles sont anéanties, d’où le début d’une famine d’au moins neuf ans pour la population paysanne et tous ceux qui sont démunis. Bien que les Danois soient poussés à quitter le nord de l’Angleterre, le roi Sweyn de Danemark et ses vaisseaux continuent à menacer la côte est (avec l’appui de puissants Anglais) jusqu’à la signature d’un traité de paix en juin 1070.

Dans le nord, où la frontière avec l’Ecosse manque de clarté, le roi Malcolm III empiète sur l’Angleterre. Une fois de plus, Guillaume Ier réagit rapidement et envoie des armées sur terre et mer dans le nord afin d’envahir l’Ecosse. Le traité d’Abernethy, conclu en 1072, marque une trêve, renforcée par l’accord du fils aîné de Malcolm III de se constituer otage du roi d’Angleterre.

Guillaume Ier consolide ses conquêtes en établissant un programme ambitieux de construction de châteaux forts sur des places stratégiques. En général, ces châteaux sont des tours de bois, basées sur des monticules de terre défendus par des remparts de terre ; beaucoup seront plus tard reconstruits en pierre. A la fin du règne de Guillaume Ier, environ 80 châteaux ont été construits dans tout le royaume ; ils rappellent le nouvel ordre féodal normand.

La confiscation des terres appartenant aux nobles et à leurs héritiers (beaucoup sont mort aux batailles de Stamford et Senlac) permet à Guillaume de garder et recruter une armée, en exigeant des devoirs militaires en échange de l’occupation des terres octroyées aux Normands, aux Français et aux Flamands. Il crée jusqu’à 180 honors (territoires dispersés à travers les comtés avec un château pour centre de gouvernement) ; en contrepartie, il dispose de 5000 knights (chevaliers) pour réprimer une quelconque rébellion et poursuivre les campagnes militaires ; ce contingent de chevaliers est complété par des mercenaires et une infanterie anglaise, qui émane d’une milice anglo-saxonne. Guillaume Ier peut aussi compter sur la fyrd, l’armée royale (c’est un contingent militaire qui a survécu à la conquête de 1066). Les seigneurs, qui dépendent du roi, constituent des knights qui sont à leurs ordres et sont soumis aux devoirs royaux (on appelle cela subinfeudation), ce qui donne pour résultat la formation d’armées privées autour des châteaux ; c’est ce qui causera de futurs problèmes d’anarchie pour des rois malheureux ou faibles. A la fin du règne de Guillaume Ier, un petit groupe de seigneurs a acquis la moitié de la richesse des terres d’Angleterre. Une aristocratie étrangère s’impose comme nouvelle classe gouvernante.

Les dépenses des nombreuses campagnes militaires et l’effondrement de l’économie (causé par la nouvelle répartition des richesses et la dévastation du nord de l’Angleterre pour des raisons militaires et politiques) poussent Guillaume Ier à ordonner une enquête afin d’établir avec précision la répartition des richesses du royaume et la capacité fiscale et militaire des propriétés (fiefs). Le Domesday Book atteste de la réalité de ces changements. Conquise par Guillaume, l’Angleterre a été colonisée par les Normands. Le Serment de Salisbury (1086) impose aux 170 seigneurs de Guillaume et les autres seigneurs importants de jurer fidélité à la puissance royale.

L’éclat politique de Guillaume Ier s’étend aussi à l’Eglise et dans le système légal. Le Français supplante l’Anglo-saxon. Lui-même dévot, le roi compte sur ses archevêques pour gérer les devoirs administratifs. Lanfranc (1005-1089), archevêque de Canterbury depuis 1078, est un administrateur de première classe qui assiste au gouvernement lorsque Guillaume est en France et introduit en Angleterre la réforme grégorienne : il mène une grande politique de réorganisation des diocèses, de création de paroisses, de restauration de la discipline. Ayant établi la primauté de son archevêché sur celui de York, avec l’accord du roi d’Angleterre, Lanfranc excommunie les rebelles, et installe l’Eglise ou les cours spirituelles pour traiter des problèmes ecclésiastiques. De plus, Lanfranc replace les évêques et les prêtres avec le clergé français ou normand pour réduire la résistance politique. En somme, les cathédrales de Canterbury et de Durham sont reconstruites et des paysages religieux s’installent au cœur de centres urbains.

A son couronnement, Guillaume Ier promet de respecter les lois et coutumes en vigueur. Les shires et les hundreds anglo-saxons (qui administrent la défense et la taxe, tout comme les problèmes de justice) restent intacts. Pour renforcer la justice royale, le roi compte sur les sheriffs (officiers du roi) pour assurer l’administration de la justice dans les cours des comtés existantes, et envoie des membres de sa propre cour pour conduire les tribunaux importants. Cependant, l’introduction des cours religieuses, le mélange de lois normandes-romaines et les différentes coutumes amènent à une structure complexe. Des lois forestières plus sévères renforcent l’aménagement par Guillaume de la New Forest (« la Nouvelle Forêt », dans le sud), telle une grande réserve royale. Sa politique de reboisement va transformer, en cent ans, le quart du pays en forêt. Ces lois causent un grand ressentiment et pour les chroniqueurs anglais la New Forest devient le symbole de l’appétit royal. Malgré tout, Guillaume Ier maintient la paix et l’ordre.

Le roi consacre les derniers mois de son règne en Normandie, combattant une contre-offensive dans le Vexin français contre l’annexion de la Normandie par le roi Philippe Ier. Juste avant sa mort, le 9 septembre 1087, Guillaume Ier divise son état anglo-normand entre ses fils. Comme il l’avait promis, la Normandie revient à son fils aîné Robert, en dépit des différends amers (Robert s’est rangé du côté des ennemis de son père en Normandie et a même blessé et battu son père en 1079). Son fils Guillaume Rufus, doit succéder à Guillaume Ier sur le trône d’Angleterre et le troisième fils restant, Henri, doit se contenter de 5000 pounds en argent. Guillaume est enterré dans l’abbaye St Etienne qu’il a fondée, à Caen. Profanée par les huguenots (1572) puis par les révolutionnaires (1793), sa tombe de premier roi normand d’Angleterre est désormais constituée d'un simple bloc de pierre.

A Mouvaux le dimanche 17 juillet 2005,

Benjamin HUS