Philippe Pétain

... Travail, Famille, Patrie...

"J'ai été avec vous dans les jours glorieux, Chef du gouvernement, je resterai avec vous dans les jours sombres !"

Maréchal Pétain - 1940 -

Plan :

Naissance
Famille : PATERNELLE Origine
Mariage
La maréchale Pétain
Le personnage

1) La jeunesse de Pétain
2) Carrière militaire : un officier mal noté
3) Le vainqueur de Verdun
4) La carrière politique
5) L'homme providentiel
6) La France de Philippe Pétain

a) la révolution nationale
b) La chasse aux Juifs
c) Sur la voie de la collaboration

7) Le crépuscule d'un vieillard

Henri Philippe Benoni Joseph Pétain

- Naissance -

Le 24 avril 1856, à 10 h 30 du soir, à Cauchy-la-Tour (canton du Norrent-Fontes, arrondissement de Béthune, Pas-de-Calais), petit village de 400 habitants qui s'appelait au Ve siècle Turringhem (maison des fils de Turr) et prit ce nom en 1797 (Cauchy = chaussée ; tour = abréviation de Turringhem). Pétain porte des prénoms familiaux, sauf celui de Henri donné par attachement au comte de Chambord.

Famille - PATERNELLE - Origine :

Paysanne, originaire du Sud de l'Artois et établie à Floringhem, près de Pernes-en-Artois, à la fin du XVIIe siècle. Un ancêtre, Jean-Baptisite Pétain, est lieutenant du bailli à Turringhem en 1697.

Père : Omer, né à Cauchy en 1816. Comme son frère Cyrille, il a reçu une bonne instruction au collège de Douai. Après avoir travaillé à Paris pendant environ dix ans avec l'inventeur de la Photographie, Jacques Duguerre (1787 - 1851), il revient à Cauchy, où il cultive une petite ferme de 10 hectares. Ses parents, Benoît-Joseph et Françoise (née Cossart), se sont retirés dans une maison voisine. Il se mariera 2 fois : la première, le 11 février 1851, avec Clothilde Legrand (1824-1857, d'une famille de cultivateurs comptant de nombreux prêtres, originaire de Floringhem), la seconde, en 1859, avec Reine Vincent (elle négligera ses beaux-enfants : Philippe trouvera auprès de sa grand-mère paternelle l'affection dont il est privé chez lui). Délaissé par sa famille, Philippe Pétain lui sera peu attaché (en 1919, il y a 14 ans qu'il n'a pas vu sa soeur aînée).

- Mariage -

Porté à s'amouracher facilement et plaisant aux femmes, Pétain voulut se marier à plusieurs reprises, dans sa jeunesse. Avec Céline Brassart, une jeune fille de l'Artois, de neuf ans son aînée, qui le refusa. A Besançon, avec Antoinette Berthelin, fille d'un ingénieur des Ponts-et-Chaussées, puis avec Angéline Guillaume, fille du directeur de l'agence locale de la Société Générale (mais sans fortune, sans relations et apparemment sans avenir, il fut jugé un prétendant trop médiocre). En 1888, avec Marie-Louise Regard (1867-1952), fille de Léon Regard, propriétaire des Forges du Quincey et héritière par sa mère d'une des principales fortunes franc-comtoise (Pétain y renonça, M. Regard ayant posé comme condition sa démission de l'armée et son entrée dans les affaires de la famille). Enfin, en 1900, avec Lucie Delarue (la future poétesse Lucie Delarue-Mardeus), qui le trouva trop âgé pour elle. En 1920, il retrouve Marie-Louise Regard, veuve du sénateur Gaston Outherin-Chalandre (1853-1907), et pense un moment l'épouser. Il doit y renoncer devant la menace d'un scandale brandie par sa maîtresse, Eugénie Hardon. Et c'est finalement celle-ci qu'il épouse le 14 septembre 1920. Il a alors 64 ans et aura ce mot amer : "On se marie toujours trop tôt". Doué d'une forte sexualité (jusqu'à 87 ans), il aura des liaisons extra-conjugales.

- La maréchale Pétain -

Alphonsine Eugénie Berthe Hardon, née le 5 octobre 1877 à Courquetaigne (Seine-et-Marne). N'aimant pas son prénom, Eugénie, elle se fait appeler Annie ou Ninie. Fille d'Alphonse Eugène Hardon (qui a épousé en 2e noces Marie Porlier ; celle-ci se remarie ensuite avec le peintre Gabriel Ferrier). Elle mesure 1m76 et a un physique imposant. Elle a quatre ans et demi, lorsque, en 1881, le sous-lieutenant Pétain (26 ans et demi), en garnison à Menton, fait sa connaissance dans un bal costumé (elle était en bouquetière et lui en jockey).

En 1901 (âgée de 24 ans), elle a avec lui, alors commandant, une liaison passagère, alors qu'elle est élève à l'académie Jullian. Il la demande en mariage mais la famille le décourage en raison de la différence d'âge.

Eugénie épouse le 19 février 1903 un interne des Hôpitaux, François Dehérain. Pendant 20 ans, Eugénie travaille dans une galerie de tableaux de l'avenue Matignon.

Pétain la revoit en 1913. Une séparation est intervenue entre les époux Dehérain ; leur divorce est prononcé en 1914. Elle redevient la même année la maîtresse de Pétain. Celui-ci l'épouse civilement, le 14 septembre 1920, à 10 heures, à la mairie du VIIe arrondissement de Paris. Elle a 42 ans et lui 64.

Elle meurt le 30 janvier 1962 à huit heures du matin, à l'âge de 84 ans.

- Le personnage -

Aspect physique : Blond, avec des yeux bleus très clairs et un grand front, il frappe par son aspect froid, voire glacial. Sportif, il pratique la natation, l'équitation, la bicyclette. Vigoureux, il n'est jamais malade (seul point faible, les bronches) et, à près de 90 ans, il peut encore faire 6 kilomètres à pied.

Attitude : Distant, silencieux, sérieux, il se livre peu et se tient à l'écart des intrigues. En 1890, un de ses chefs le note : "froid, gagne à être connu" (33 ans plus tard, de Gaulle sera jugé de façon identique). Cependant, il aura une influence considérable sur ses subordonnés, et il est populaire auprès de la troupe pour sa simplicité. Prudent jusqu'au pessimisme, il est d'une remarquable obstination, qui augmentera avec l'âge. Pour le directeur de son cabinet à Vichy, Henri du Moulin de Labarthète, qui l'a bien connu, il a un caractère difficile à saisir. Une grande droiture naturelle, une parfaite égalité d'ami, un flegme parfois décourageant, le goût de la taquinerie, une tendance aux sarcasmes "qui sont comme les défenses avancées d'une âme inquiète, ombrageuse".

Beaucoup de méfiance envers soi-même et envers les autres. De ses racines paysannes, il tient le sens du réel et un certain manque d'imagination. Pour lui, la patrie n'est pas une idée abstraite, mais la terre même. Ses goûts sont simples. Économe et peu exigeant, il aime les plaisanteries de sous-lieutenant, préfère le pot-au-feu, la tête de veau et les pieds de cochon grillés au saumon-mayonnaise des banquets officiels, et se distrait en s'occupant de son poulailler dans sa propriété de Villeneuve-Loubet.

Décorations : Il ne portait que sa médaille militaire (23 Août 1918), à son procès en particulier, et fut enseveli avec elle. Officier de la Légion d'Honneur le 6 octobre 1914, commandeur le 9 mai 1915, grand officier le 27 avril 1916 et grand-croix le 24 août 1917.

1) La jeunesse de Pétain

Philippe Pétain reçoit ses premières leçons de son oncle, l'abbé Jean-Baptiste Legrand, curé de Bomy, et d'un vieux prêtre, l'abbé Lefèvre (né en 1771, il a participé à la campagne d'Italie avec Napoléon Bonaparte). En octobre 1867, il entre au collège religieux de Saint-Bertin, à Saint-Omer, où il bénéficie d'une demie-bourse de 500 F. Il y reste interne pendant huit ans et y obtient son baccalauréat de philosophie. Appliqué sans être brillant, il récolte, de la 7e à la rhétorique, sept prix et dix-sept accessits (dont trois fois le 1er prix du travail en vacances). Après deux ans au collège des dominicains d'Arcueil, il passe à Nancy l'examen d'admission à l'École spéciale militaire et entre à Saint-Cyr à 20 ans, le 25 octobre 1876, 403e sur 412. Ce sera pourtant le seul maréchal de la promotion.

2) Carrière militaire : un officier mal noté

En 1878, il sort de Saint-Cyr 229e sur 386 (le 1er, Hamel, prend sa retraite en 1912 comme colonel d'infanterie) avec le grade de sous-lieutenant au 24e bataillon de chasseurs de Villefranche-sur-Mer. Il y a acquis le respect des vertus militaires, le mépris du soldat pour les politiciens et les civils, la méfiance contre l'éducation républicaine et les doctrines de gauche, l'attachement aux traditions. Il reste cinq ans sous-lieutenant, sept ans lieutenant, grade auquel il est nommé à l'ancienneté le 12 décembre 1883, au 8e chasseur à Besançon.

En 1888, Philippe Pétain entre à l'École de Guerre d'où il sort avec la mention "bien" en 1890. Il est alors noté ainsi : "officier distingué, consciencieux, réservé, fait preuve de zèle et d'intelligence... caractère froid mais agréable". Foch le signale comme "un sujet d'élite... d'une droiture de caractère peu ordinaire, d'une intelligence très nette et très précise, d'une méthode rigoureuse, d'une conscience à toute épreuve, d'un sens tactique très juste".

En 1890, à la sortie de l'École de Guerre, Pétain rejoint le 15e corps, à Marseille, en qualité de capitaine, comme stagiaire à l'État-major de cette unité. Deux ans plus tard, il prend, à Vincennes, le commandement d'une compagnie du 29e bataillon de chasseurs. En 1894, Philippe Pétain est à l'État-major du Général Saussier, gouverneur militaire de Paris, généralissime en temps de guerre. Pendant tout ce temps, il reste à l'écart du boulangisme, de l'affaire Dreyfus et de la crise religieuse au moment des Inventaires. En 1899, il prend le commandement du 8e bataillon de Chasseurs à Amiens. Il s'y consacre pour une large part à l'instruction de la troupe ; à l'occasion des manouvres, il attire sur lui l'attention des officiers supérieurs.

Le 10 Août 1900,nommé instructeur à l'École normale de tir de Châlons-sur-Marne, Pétain réprouve la doctrine officielle (création d'un "champ de feu" et tir groupé au détriment de la précision individuelle). Il estime au contraire que c'est cette précision qu'il convient d'améliorer. Le directeur de l'École obtient sa mutation ; il est nommé au commandement d'un bataillon du 5e régiment d'infanterie, caserne Latour Maubourg, à Paris. Six mois plus tard, Pétain est de nouveau désigné comme instructeur à l'École de Guerre (1901 - 1903), pour y donner des conférences d'infanterie tactique. Le directeur de l'École, le général Bonnal, l'avait remarqué pendant les manouvres du 8e bataillon de chasseurs en 1900 et lui avait décerné des éloges exceptionnels. Ses conférences sont bien accueillies. En 1903, Philippe Pétain prend le commandement d'un bataillon du 104e régiment d'infanterie. A partir de 1904, il revient à l'École de Guerre. En 1907, lieutenant-colonel, il est considéré comme l'un des experts de l'enseignement du tir. Muté au 118e régiment d'infanterie à Quimper, rappelé à l'École de Guerre lorsque le général Joseph Maunoury en devient directeur, pour y occuper la chaise d'infanterie tactique.

Entre 1910 et 1911, Philippe Pétain devient directeur de l'infanterie tactique. Il prend part comme professeur adjoint aux travaux du Centre des Hautes Études militaires. Le 31 décembre 1910, Pétain est nommé colonel à 54 ans, alors que nombre de ses camarades sont généraux. Le 25 juin 1911, il prend le commandement du 33e Régiment d'Infanterie d'Arras. En juillet 1914, Philippe Pétain commande par intérim la 4e brigade d'infanterie à Saint-Omer. Il s'apprête à prendre sa retraite : sa carrière, qui semble terminée, a manqué d'éclat en raison de son indépendance de caractère et des ses vues non orthodoxes.

3) Le vainqueur de Verdun

En 1914, Philippe Pétain commence la guerre comme colonel. Avec la Ve Armée du général Larrezac dont dépend son unité, il entre en Belgique et s'empare de Dinant. Dans la nuit du 27 au 28 août, à Iviers (Aisne), il apprend sa nomination de général de brigade.

Le 1er septembre, à Fismes (Marne), il prend le commandement de la 6e division. Le 3, son unité passe la Marne à Verneuil. Le 14, Pétain est nommé général de division [ cet avancement rapide (17 jours entre la 2e et la 3e étoile) est dû au manque de généraux éprouvés dans l'armée française (du 2 août au 6 septembre, Joffre a limogé deux généraux d'armée, neuf généraux de corps d'armée sur vingt et un, trente-trois généraux de division d'infanterie sur quarante-sept, cinq généraux de division de cavalerie sur dix)].

Le 28 octobre, Philippe Pétain prend le commandement du 33e corps d'armée à Aubigny, dans la région d'Arras. Le général Fayolle note le 5 novembre qu'il est "froid, calme, résolu, très dur d'ailleurs. N'hésite pas à casser les médiocres et à faire fusiller les lâches".

Le 9 mai 1915, il participe à l'offensive en artois. Le 21 juin, il est nommé au commandement de la IIe armée et succède ainsi au général de Castelnau. En septembre ont lieu les offensives de Champagne et d'Artois.

L'État-major de la IIe armée est retiré du front de Champagne au début de 1916 et transféré à Noailles (Oise), où Pétain doit diriger l'instruction des divisions placées temporairement en réserve. Le 21 février 1916, c'est le début de la bataille de Verdun. A 8 h 30, heure française, les allemands passent à l'attaque. Le 24, leur offensive s'amplifie. Le 25 février, Pétain, alors inconnu du grand public, reçoit le commandement des armées de Verdun (il remplace le général Herr). Il doit probablement sa nomination à Castelnau et conservera ses fonctions jusqu'au 15 mai 1917. Pétain dirige la bataille jusqu'au 1er mai 1916, réorganise la route Bar-le-Duc - Verdun (que Maurice Barris a surnommée la "voie sacrée"), par où sont acheminés troupes et matériel (du 27 février au 6 mars, 190 000 hommes, 23 000 tonnes de munitions et 2 500 tonnes de matériel), et l'artillerie (il exige 55 000 obus de 155 par jour et met en place des batteries géantes de plus de 100 pièces de 75). "Avare de sang, prodigue en acier", le général Pétain réclame des relèves incessantes, une meilleure intendance, des renforts innombrables. Il manifeste son indépendance d'esprit en faisant répondre à Clemenceau, le jour où celui-ci doit venir visiter les armées, qu'il est occupé. Au cours d'un voyage présidentiel de Poincaré (22 mars, en compagnie d'Alexandre, prince régent de Serbie et du général Cadorna) à Souilly (quartier général de Pétain), invité à dîner dans le wagon du chef de l'Etat, il explique à ce dernier que la coordination de tous les rouages gouvernementaux n'est possible que grâce à une dictature exercée par l'État-major. "Mais, répond Poincaré, la Constitution, qu'est-ce que vous en faites ? - La constitution, oh moi, je m'en fous". Il reproche à Poincaré de ne pas avoir trouvé les mots pour féliciter les soldats. Pétain critique fréquemment les politiciens et le Grand Quartier Général, prêts à sacrifier des divisions entières pour atteindre des objectifs sans intérêt. Le 16 avril 1916, il est nommé commandant du groupe d'armées du centre, laissant le commandement de Verdun au Général Nivelle.

Le 29 avril 1917, Philippe Pétain est nommé chef d'État-major de l'Armée. Le 15 mai, après l'échec de l'offensive Nivelle (devenu généralissime), il remplace celui-ci et devient comma,ndant en chef du groupe des armées du Nord et du Nord-Est de l'armée française. L'armée, démoralisée par les tueries, les échecs militaires et la propagande pacifiste, est près de s'effondrer. Pétain réprime les mutineries (cours martiales, condamnations à mort et aux travaux forcés pour de nombreux mutins, 412 condamnés à mort dont 55 exécutions ; les travaux forcés ont lieu au Maroc et en Indochine) et retourne la situation par diverses mesures (améliorations des conditions de vie des soldats, périodes de repos, rétablissement des permissions, etc...). Partisan des attaques à objectif limité pour user l'adversaire en ménageant les hommes, le général Pétain remporte, le 23 octobre, la victoire de la Malmaison, dans le secteur même où Nivelle avait été battu le 16 avril. Malheureusement, il crée ainsi au Chemin-des-Dames, une poche aux flancs très fragiles, où les Allemands écraseront deux armées françaises les 27 et 30 mai 1918.

A partir de 1918, il se trouve en opposition avec Foch (commandant en chef des armées alliées, 26 avril 1918), qui souhaite livrer au cours de l'année la bataille pour la victoire, alors que le général Pétain voudrait que jusqu'en 1919 (l'armée américaine aura en France plus de deux millions de combattants) on se borne à des attaques limitées. Lorsque, à partir du 18 octobre, l'offensive contre l'Allemagne redouble d'intensité, il aurait désiré que le principal point d'attaque fût déplacé et porté à l'Est de la Meuse ; son idée était de tenter, en lançant l'armée Castelnau à travers la Lorraine et la Sarre, un encerclement des forces ennemies. Foch rejette ce projet pour de raisons mal éclaircies (peut-être influencé par les Anglais, qui redoutent une conquête de la rive gauche du Rhin). Philippe Pétain estimera que l'armistice a été signé trop tôt. Il arrête l'offensive Castelnau, prévue pour le 14 novembre, qui aurait permis une victoire totale en contraignant les armées allemandes de Belgique à capituler en rase campagne.

Le 19 novembre 1918, Philippe Pétain est fait maréchal de France, après Joffre et Foch. Le 8 décembre, son bâton lui est remis par le président de la République, Raymond Poincaré, à Metz en présence de ceux-ci. Le 2 avril 1919, élu à l'Académie des Sciences morales et politiques comme membre libre, il y est reçu en juillet (il se présente à la cérémonie de réception en grande tenue bleu horizon des officiers supérieurs). Le 21 janvier 1920, considéré comme un militaire plus "républicain" que Foch ou Lyautey, il est nommé vice-président du Conseil Supérieur de la Guerre, conseiller du ministre pour la préparation des troupes. Le 18 février 1922,le maréchal Pétain est nommé inspecteur général de l'Armée. Il soutient énergiquement le projet de construction d'une ligne fortifiée, la future ligne Maginot. En 1924, Pétain prend à son état-major (boulevard des Invalides) le capitaine de Gaulle (qui a été lieutenant sous ses ordres au 33e RI) qui rédigera nombre de ses textes et discours.

Le 17 juillet 1925, à la demande de Poincaré, président du Conseil, le maréchal Pétain part au Maroc,où s'étend la rébellion d'Abd-el-Krim. Son arrivée est peu appréciée du résident général Lyautey, connu pour ses opinions monarchistes (Pétain, qui a la réputation d'être un maréchal de gauche, a obtenu du Cartel des Gauches les moyens que Lyautey avait réclamés en vain). Le 22 juillet, Pétain envoie un rapport demandant des renforts et préconisant de conquérir la zone de dissidence. A cet effet, il va le 27, de Casablanca à Teuta (dans la zone espagnole), puis à Tétouan où il a des entretiens avec le chef du gouvernement espagnol, le Général Primo de Rivera. Le 28, Pétain revient à Paris, et rend compte de sa mission à Painlevé le 1er Août ; le 18, il est officiellement informé qu'il est chargé des opérations militaires au Maroc. Le 21 août, lors d'un nouvel entretien avec Primo de Rivera, à Algésiras, est discuté l'arrangement de principe d'une action militaire commune franco-espagnole. Le 3 septembre, Pétain reçoit le commandement des forces du Maroc sans être subordonné au résident général qui démissionne le 10 octobre. Au printemps 1926, une offensive permet la reconquête des territoires dissidents et la capture d'Abd-el-Krim.

En 1927, Pétain fait inviter comme conférencier à l'École de Guerre son protégé, le commandant de Gaulle, et assiste au 1er rang à sa première conférence. Le 20 juin 1929, le maréchal Pétain est élu à l'Académie française. En 1931, atteint par la limité d'âge, il abandonne son poste de vice-président du Conseil supérieur de la Guerre ; il est remplacé par le Général Weygand. Le 9 février, il est nommé inspecteur général de la Défense aérienne du territoire. En octobre, il voyage aux États-Unis pour le 150e anniversaire de la bataille de Yorktown (Virginie, 17 octobre 1781). En 1932, de Gaulle lui adresse l'exemplaire numéro 1 de son livre, Le fil de l'Épée, où figurent trois conférences à l'École de Guerre.

4) La carrière politique

Le maréchal Pétain entre vraiment en politique après les événements du 6 février 1934. Du 9 février au 9 novembre, il est ministre de la Guerre dans le 3e ministère Doumergue (il avait réclamé l'Education nationale). Il est aussi inspecteur général de la Défense aérienne du territoire. Peu à l'aise dans les réunions du gouvernement et du Parlement, Philippe Pétain a, de plus, une voix chevrotante de vieillard (il a près de 78 ans), surprenant les députés. Le 7 mars 1934, interrogé par la Commission du Sénat, à propos de la fortification du front des Ardennes (que perceront, en 1940, les divisions blindées allemandes), il fait remarquer que la "forêt des Ardennes est imprenable, avec des aménagements spéciaux. Il s'agit d'une zone de destruction ; il faut protéger les lisières du côté de l'ennemi, en y installant des blockhaus. Ce front n'a pas de profondeur ; l'ennemi ne pourra pas s'y engager. S'il s'y engage, on le pincera à la sortie des forêts. Donc, ce secteur n'est pas dangereux". Le 18 octobre 1934, Pétain représente le gouvernement français aux obsèques du roi Alexandre de Yougoslavie, assassiné à Marseille. Seul avec Doumergue à vouloir refuser toute concession à Hitler,il se résigne, sous la pression du ministre des Finances (Germain Martin) à la réduction de 20 % des crédits d'armements, et à la limitation à 12 mois de service militaire. En meêm temps, il critique la politique étrangère de la France qu'il estime trop liée à celle de l'Angleterre. Déjà, il croit opportun de "composer" avec ses adversaires politiques, disant "une chose qui rassurait l'opinion" et en faisant "une autre qui protégeait le pays" (général Laure). doumergue étant renversé en novembre 1934, Philippe Pétain perd son portefeuille, et en est très mortifié.

Le 1er juillet 1935, le maréchal Pétain est nommé ministre d'État, dans le ministère Fernand Buisson, mais celui-ci est renversé au bout de quatre jours et le mépris de Pétain pour le régime parlementaire ne fait que croître.

Considéré comme une irréprochable caution républicaine par l'ensemble de la classe politique, Pétain accepte de mars 1939 à mai 1940, le poste d'ambassadeur de France en Espagne que lui propose le président du Conseil, Édouard Daladier, afin de négocier la neutralité du régime de Franco en cas de guerre, mission dont il s'acquitte avec succès.

Le 18 mai 1940, arrivé à Paris, il a accepté d'entrer dans le gouvernement de Paul Reynaud, en qualité de ministre d'État et vice-président du Conseil. Depuis 1939, la guerre est déclarée.

5) L'homme providentiel

Dès lors, Pétain appuie la position du général Weygand, qui souhaite mettre fin aux hostilités et réclame un armistice, contre beaucoup d'hommes politiques, dont Édouard Daladier et Georges Mandel, qui prônent la seule capitulation militaire afin de poursuivre le combat depuis l'Afrique du Nord.

Le 16 juin 1940, à 22 heures, le président du Conseil, Paul Reynaud, démissionne. Il conseille au président de la République, Albert Lebrun, de prendre le maréchal Pétain à sa place. Comme il est convaincu que la majorité des ministres souhaite l'armistice, il lui fait plus confiance pour obtenir des conditions honorables. Pétain alors âgé de 84 ans, est aussitôt chargé, à 23 h 30, par Lebrun, de constituer un nouveau ministère (nuit du 16 au 17 juin).

Le 17 juin, Philippe Pétain, nouveau président du Conseil, lance de Bordeaux un appel à "cesser les combats". Le 19, il prend la décision de considérer comme villes ouvertes toutes les cités de plus de 20 000 habitants, ce qui interdit de faire sauter les ports, accélère la démoralisation et transforme la retraite en débandade. En effet, depuis le 14 juin, les divisions allemandes ont pénétré dans Paris.

Signé le 22 juin dans la clairière de Rethondes, sur les lieux même de l'armistice du 11 novembre 1918, l'armistice entre en application le 25 juin. Un "armistice-diktat" qui exige le désarmement des troupes avant leur démobilisation, la livraison du matériel de guerre à l'exception des avions et des navires de guerre, qui seraient désarmés dans le port d'attache du temps de paix, qui met à la charge du gouvernement français les frais d'entretien des troupes d'occupation et coupe la France en deux par une "ligne de démarcation" au Nord de laquelle les fonctionnaires français sont fermement invités à "collaborer" avec leurs homologues allemands. Dès l'été 1940, les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont "rattachés" au gouvernement militaire allemand de Bruxelles, tandis que ceux du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont annexés de fait. Sur le moment, personne ne mesura l'humiliation que représentait le fait d'avoir à livrer "tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich". En gage, le vainqueur emmènerait en Allemagne les 1 600 000 prisonniers devenus de véritables "otages". Par 569 voix contre 80, et 17 abstentions, Pétain, chef du gouvernement de la République, est investi du pouvoir constituant, le 10 juillet.

Respecté à gauche, vénéré à droite pour avoir dit la "nausée" que lui inspiraient les partis politiques, adulé par l'immense majorité des Français, Philippe Pétain qui, dès les 11 et 12 juillet 1940, déclare "assumer les fonctions de chef de l'État français" et s'accorde la "plénitude du pouvoir gouvernemental" en concentrant dans sa seule personne les pouvoirs naguère dévolus au président de la République et au Conseil des ministres, n'est pas la potiche sénile de quatre-vingt-quatre ans, handicapé par sa surdité et ses moments de fatigue comme certains ont voulu par la suite faire croire. S'il n'a pu tout contrôler, l'"ordre nouveau" qu'il veut imposer aux Français est cependant bien le sien.

6) La France de Philippe Pétain

Les premières désillusions des partisans du Maréchal arrivent dès l'été 1940, quand les Allemands annexent de fait l'Alsace et la Lorraine. Malgré les protestations purement formelles émises par le gouvernement de Vichy, les anciens départements français font partie intégrante du reich. Le 23 juillet, les autorités allemandes délimitent une nouvelle zone dans le nord du pays : la zone interdite, véritable ligne verte incluant les douze départements les plus riches de France. Les Français, sur les routes de l'exode, ne peuvent y retourner et l'ensemble des récoltes est transféré en Allemagne.

a) La révolution nationale

Autre changement, la zone occupée tombe rapidement sous l'unique contrôle de la police nazie. Désormais pour passer d'une zone à l'autre et franchir la ligne de démarcation, les Français n'ont plus que deux possibilités : soit le transport clandestin, onéreux et risqué, soit l'inaccessible Ausweis, le laissez-passer délivré par les forces allemandes. En père de la patrie, Pétain qui a fait "don de sa personne" au pays, reste très populaire. Il fait l'objet d'un culte de la personnalité exacerbé par ses nombreuses tournées à travers la France. A Riom, le nouveau "chef de l'État" crée la Cour suprême de Justice, afin de punir les "responsables" de la défaite. Le gouvernement de Vichy a pour cibles principales les communistes, les socialistes, les francs-maçons et les Républicains de droite, qui avaient tous manifesté leur opposition à l'armistice. Plusieurs hommes politiques des années trente y seront jugés au printemps 1942 (Daladier, Blum, Gamelin, etc...). La purge politique, première étape de la "révolution nationale", se poursuit par la mise en place d'une administration zélée et fidèle. Ainsi, les préfets et les hauts fonctionnaires qui refusent de prêter serment au Maréchal sont systématiquement démis de leurs fonctions. De nombreux instituteurs sont révoqués et les écoles normales fermées.

b) La chasse aux Juifs

Le 3 octobre 1940, devançant les exigences allemandes, le gouvernement de Vichy adopte une loi portant sur le statut des juifs. Les Français de confession juive sont renvoyés de l'armée et de l'ensemble de l'administration. Les emplois de cadres dans la presse et l'industrie leurs sont également refusés. Les juifs d'Afrique du Nord se voient retirer la nationalité française. Un premier commissaire aux "questions juives", Xavier Vallat, est nommé. Son programme : "défendre l'organisme français du microbe qui le conduisait à une anémie mortelle". En zone occupée, les décisions allemandes, soutenues par Vichy, voit encore plus loin. Ainsi les commerçants juifs doivent apposer en vitrine une affiche bilingue dénonçant leur religion.

En mai 1942, nouveau pas dans l'horreur, le port de l'étoile jaune devient obligatoire. A Paris, ce sont les commissariats de quartiers qui se chargent de la distribution. Depuis Vichy, le "Commissariat aux Affaires juives" mène une politique sans relâche, de spoliations des biens juifs. Le 20 août 1941, la police française organise le premier rafle dans le XIe arrondissement de Paris. Les juifs interpellés sont transférés à Drancy, puis à Compiègne avant d'être déportés en Allemagne. Les 16 et 17 juin 1942, ce sont 13 000 juifs parisiens qui sont rassemblés au " Vel' d'Hiv' " avant de connaître l'horreur des camps de la mort. A la fin du conflit, la moitié des 350 000 juifs vivants en France en 1939 ont été déportés. Parmi eux, plus de 20 000 enfants.

La politique antisémite de Vichy trouve un certain écho chez les anciens membres des ligues. Regroupés dans la Légion, ils deviennent les véritables relais du maréchal Pétain dans les villes et les villages. Le "légionnaire", coiffé d'un béret et portant le francisque au revers, est désormais en charge de "l'autorité morale" de ses concitoyens. Un "redressement" des valeurs qui passe forcément par une rééducation de la jeunesse. Ainsi, Vichy ordonne la création des "chantiers de la jeunesse" où près de 100 000 jeunes se retrouvent à l'extérieur des villes pour expérimenter un nouveau modèle de vie en accord avec la devise "un esprit sain dans un corps sain". Dans sa grande majorité, l'Église soutient cette révolution nationale qui prône des valeurs auxquelles elle croit : "Travail, Famille, Patrie", et le développement nationale des écoles catholiques.

c) Sur la voie de la collaboration

Le 24 octobre 1940, le gouvernement de Vichy s'engage sur la voie de la collaboration. Ce jour-là, "pour protéger l'Hexagone d'une occupation trop dure", Philippe Pétain, sur les conseils de Pierre Laval, vice-président du gouvernement de Vichy, rencontre Hitler dans la petite gare de Montoire. L'État français et le IIIe Reich s'unissent "par une collaboration loyale dans la compréhension et la bonne volonté mutuelles", accord politique mais aussi économique. En fait, la "poignée de main" de Montoire marque le début des pires excès. Elle place la France dans une position de soumission voulue par Hitler pour considérer définitivement un pays comme une nation colonisée. De fait, la pression économique de l'occupant s'intensifie. Aux taxes d'occupation vient désormais s'ajouter une réquisition systématique de la production française. Le pays sombre peu à peu dans la pénurie. Fin 1940, la France manque de tout. La nourriture est rationnée et la plupart des aliments sont remplacés par des "ersatz" de qualité médiocre. Cette situation de pénurie développe un véritable marché noir, interdit par l'occupant, où certains bâtiront de réelles fortunes. Autre conséquence, les Français, lassés par les files d'attente, interminables et les tickets de rationnement, supportent de moins en moins bien l'occupation et commencent à remettre en cause la politique menée par le maréchal.

Décidé de ne pas aller trop loin dans la voie des concessions, il entreprend parallèlement de nouer des contacts avec les États-Unis, par l'entremise de l'amiral Leahy, qui reste ambassadeur à Vichy pendant la durée de la guerre. Cette volonté de modération, de plus en plus critiqué par Laval, aboutit d'ailleurs au renvoi de ce dernier, le 13 décembre 1940.

Marquée par d'incessants atermoiements, cette politique, qui donne aux Allemands le sentiment d'une dangereuse duplicité, n'améliore en rien les rapports avec l'occupant qui, jugeant Pétain trop indocile, lui imposent le retour de Laval au gouvernement, le 18 avril 1942. Privé de la plupart de ses prérogatives, Pétain assiste alors, impuissant, à l'invasion de la zone libre, après le débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942), suivie, le lendemain, de l'arrestation de Weygand ; il doit ainsi couvrir de son autorité vacillante, des actes comme la création de la Milice (30 janvier 1943), alors que Laval le contraint à lui reconnaître la totalité des pouvoirs exécutifs et législatifs (novembre 1942).

7) Le crépuscule d'un vieillard

Arrêté par les Allemands après le débarquement d'août 1944, c a d le 20 août 1944, tandis que son envoyé, l'amiral Auphan, tente vainement de négocier une passation de pouvoirs avec de Gaulle, Pétain, qui se considère désormais comme prisonnier de guerre, est contraint de suivre les Allemands dans leur retraite à Sigmaringen, où il se réfugie à cautionner les activités de la délégation française mise en place par Fernand de Brinon. Réfugié en Suisse après la chute du IIIe Reich, il se livre aux autorités françaises en avril 1945.

Le 23 juillet 1945, le procès Pétain s'ouvre vers 13 heures devant la Haute Cour de justice. L'acte d'accusation reproche à Pétain les crimes d'atteinte à la sûreté intérieure de l'État et d'intelligence avec l'ennemi. Pétain se tait pendant tout le procès. Le 11 Août, le procureur général prononce un bref réquisitoire, il reconnaît qu'on ne peut établir que Pétain, dès avant guerre, ait comploté contre la République. Mais depuis 1940, il a trahi : il a accepté et fait accepter la défaite, il a humilié la France et pris le vainqueur pour modèle, il a voulu déshonorer la France en violant ses engagements envers ses alliés et les a combattus. Le 15 Août 1945, Pétain ne réagit même pas à l'annonce du verdict le condamnant, par 14 voix contre 13, à la peine de mort, à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Le lendemain, l'Académie le radie en exécution de l'article 21 de l'ordonnance du 26 décembre 1944 et décide que son fauteuil sera déclaré vacant quatre semaines plus tard. Le 17 Août, la peine commuée, par décret de De Gaulle, en détention perpétuelle au fort du Portalet. De Gaulle, qui ne retire pas à Pétain sa dignité de maréchal aurait eu l'intention de le libérer après deux ans de détention, mais son retrait de la vie politique, cinq mois plus tard, l'en empêcha.

D'abord détenu du 15 août au 14 novembre 1945, au fort de Portalet, Pétain est transféré dans le fort de Pierrelevée, à l'île d'Yeu. La maréchale Pétain rejoint l'île en janvier 1946. En six ans, jamais Pétain ne verra ni la mer, ni les arbres, visibles seulement des hauteurs du fort.

Le 29 juillet 1951, atteint d'une congestion pulmonaire, Pétain est transporté dans une maison de l'ïle d'Yeu, à la villa Luco, à Port-Joinville, et installé dans un lit de cuivre, dressé dans le salon. Le 22 juillet, le médecin-capitaine Maître signe le dernier bulletin de santé : perte totale de conscience, pouls faible et irrégulier. Le 23 juillet 1951, Pétain expire à 9 h 22. Quatre jours plus tôt était mort le fils de Guillaume II, le Kronprinz, adversaire de Pétain en 1916, à Verdun.

Considéré par les uns comme un héros, qui aurait joué continuellement un double jeu, ménageant les Allemands pour mieux s'entendre avec les Américains, voire avec de Gaulle, jugé par les autres comme un traître, Pétain a surtout été l'homme de la revanche d'une droite traumatisée par l'évolution de la société française depuis le début du XXe siècle, qui avait trouvé dans la défaite la "divine surprise" qu'a saluée Charles Maurras.

Le dimanche 11 janvier 2004, à 16 h 25, à Mouvaux

Benjamin Hus

SOURCES :

"Histoire de France : des origines à l'an 2000", éditions Tallendier

" Nouvelle histoire de France : le temps des tragédies", volume 18, dictionnaire Le Robert

" Histoire des Présidents" de Georges et Janine Hémeret, éditions EDL

"L'Encyclopédie Encarta", Microsoft