Les mots-clés du Général de Gaulle


La pensée politique de De Gaulle s'ordonne autour d'une "certaine idée" de l'Histoire de France. En étudiant la légende de Charles de Gaulle, on peut en dégager six concepts-clés.

FRANCE
PEUPLE
 L' HOMME DE CARACTÈRE
APPEL
RASSEMBLEMENT
ÉTAT

 

  • FRANCE

"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires." Ainsi s'ouvrent les Mémoires de guerre. Tout est dit ou presque : ce que de Gaulle a fait, il l'a fait pour la France vue comme un rêve, une apparition, une vision, un destin. Le patriotisme gaullien relève ainsi d'une conception quasi religieuse qui ne verse toutefois jamais dans le thème barrèsien du "sang et de la terre", ni de dégénère en xénophobie. De Gaulle reconnaît l'existence d'autres valeurs que celle de la nation. Des valeurs universelles : la liberté et l'humanisme. Son "idée" de la France est donc ouverte au monde, sans crainte ni complexe, puisque, précisément, son ambition est d'être un modèle au milieu du monde. Mais quels rapports cette "idée de la France" entretient-elle avec les Français ?

  • PEUPLE

"Il ne faut pas confondre les intérêts de la France avec ceux des Français", assène le Général en 1962 lors d'un conseil des ministres (Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle). Pourquoi ce distinguo ? Parce qu'il juge que les Français ne se montrent pas, en général, à la hauteur de la France. Il parle souvent d'un peuple porté à la division, au découragement, à l'inconstance. Dans Mémoires de Guerre, il écrit : "S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes (de la France), j'en éprouve le sentiment d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie." Se souvenant de 1946, il évoque son "doute" et son "angoisse" quant aux possibilités du peuple français : "Ces vastes entreprises (...) ne dépassent-elles pas ses moyens et ses désirs ?" Alors, comment amener ce "peuple enfant" à être à la hauteur de la France ? De Gaulle juge que "seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que (ce) peuple porte en lui-même." "Notre pays, tel qu'il est (...), doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut pas être la France sans la grandeur." Encore faut-il qu'apparaisse l' "homme de caractère", qui rappelle aux Français leur mission.

  • L' HOMME DE CARACTÈRE

L'homme providentiel dont la France a périodiquement besoin, de Gaulle le décrit dès 1932 dans Le Fil de l'épée. "Face à l'évènement, c'est à soi-même que recourt l'homme de caractère. Son mouvement est d'imposer à l'action sa marque, de la prendre à son compte, d'en faire son affaire. Et loin de s'abriter sous la hiérarchie (...), le voilà qui se dresse, se campe et fait front. (...) La passion d'agir (...) s'accompagne, évidemment, de quelque rudesse dans les procédés. (...) Les subordonnés l'éprouvent et, parfois, ils en gémissent. D'ailleurs un tel chef est distant, car l'autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l'éloignement. Au-dessous de lui, l'on murmure tout bas de sa hauteur et de ses exigences. Mais, dans l'action, plus de censeurs ! Les volontés, les espoirs s'orientent vers lui comme le fer vers l'aimant. Vienne la crise, c'est lui que l'on suit, qui lève le fardeau de ses propres bras." Cette rhétorique du héros, de l'homme providentiel, du sauveur, est usuelle chez les penseurs de la fin du XIXe siècle que de Gaulle a lus, Nietzsche en tête. Elle traverse cette histoire de France que de Gaulle connaît et qu'il se représente comme une généalogie d'êtres d'exception surgissant à point nommé : Jeanne d'Arc, Louis XIV, Carnot, Gambetta, Clemenceau... Nul doute que le jeune de Gaulle se soit identifié à ces figures tutélaires, avant d'envisager d'incarner cet homme providentiel qui, en sauvant la nation, inscrit son nom dans le granit de l'histoire.

  • APPEL

Mais, pour que le héros paraisse, l'appel doit retentir. Appel de l'Histoire d'abord : crise nationale, événement catastrophique. A cet égard, de Gaulle est pessimiste : les guerres, civiles ou étrangères, viennent toujours rappeler un peuple à ses devoirs en le menaçant de disparition. L'appel est aussi celui que l'homme de caractère adresse à ceux qui refusent l'abaissement. Dans la mythologie gaullienne, plusieurs évènements appartiennent à cette catégorie : l'appel du 18 juin 1940 bien sûr, mais aussi l'exhortation directe "Françaises, Français, aidez-moi !" la,cée à plusieurs reprises, comme le 1er mai 1949 à Bagatelle (au temps du RPF) ou le 23 avril 1961 (lors du putsch d'Alger). Troisième type d'appel : celui qu'un peuple en détresse ne peut manquer d'adresser à l'homme du recours. Fort de l'aura acquise dans la guerre et dans l'immédiat après-guerre, malgré l'échec du RPF, de Gaulle se pose en recours en 1952. En 1958, il joue de cette idée avec maîtrise. Ainsi, en clôture de sa conférence de presse du 19 mai, il déclare : "A présent, je vais rentrer dans mon village et m'y tiendrai à la disposition du pays." Que manifeste ce thème d'appel ? Le fait que de Gaulle conçoit le pouvoir sous la forme d'un lien direct, dramatisé, entre lui et le peuple, dont le référendum serait l'outil institutionnel.

  • RASSEMBLEMENT

Les Français sont portés aux querelles ? Il faut les rassembler ! Dès 1946, le mot est omniprésent dans les discours gaullien. A l'inverse, de Gaulle n'a pas de mot assez dur pour stigmatiser ce qui divise, les partis et la lutte des classes au premier chef. Tous les mouvement politiques se réclamant du Général repousseront d'ailleurs la dénomination de parti, lui préférant celle de rassemblement (tel le RPF) ou d'union (UNR, UDR, RPR et plus récemment UMP). Partant de cette logique du rassemblement et de sa conception de l'homme situé au-dessus des querelles : il se présente en "champion de la France, non point celui d'une classe ou d'un parti" (Mémoires de guerre). Sa définition du rôle e chef de l'État souligne qu'il est "placé au-dessus des partis", "garant de l'intérêt général". Relevons ici que de Gaulle, comme nombre d'hommes de sa génération, a la nostalgie de l'Union sacrée de 1914, du coude à coude fraternel des tranchées, qui au-delà des différends politiques, religieux et sociaux, symbolisaient la figue tutélaire d'une France unie, indivisible et combattante.

  • ÉTAT

L'homme fort et de rassemblement doit cimenter le sentiment national et l'unité nationale, ce en quoi l'État le relaie "pour bâtir la puissance nationale" (Mémoires de guerre). "Toute notre Histoire, écrit encore Charles de Gaulle dans Mémoires d'espoir, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'un État fort." Cet État "impartial et fort", de Gaulle en fait le moteur de la grandeur française. C'est le corset, le principe de permanence qui contient l'anarchie latente des "Gaulois". Dès lors, il n'est pas étonnant qu'il accepte les nationalisations de 1944-1945, qu'il croit à l' "ardente obligation" de la planification économique, qu'il favorise la création de l'École nationale d'administration ou, parmi d'autres exemples, qu'il impulse, sur des fonds publics, de grands projets technologiques visant à illustrer et à magnifier la puissance française : arme nucléaire, fusée Diamant, supersonique Concorde, Plan calcul... De même, le président de la Ve République, qui vivait fort simplement, n'a jamais lésiné sur le faste des réceptions d'hôtes étrangers à Versailles. La France, le souverain, l'État : les trois termes participent d'une même identification, d'un même orgueil, de Louis XIV à Charles de Gaulle. Certains caricaturistes l'avaient bien compris, qui ont croqué de Gaulle pendant des années sous les traits d'un Roi-soleil dans le Canard enchaîné...

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