La Ve République


Aux origines de la Ve République...

L'idée qui est au fondement des institutions de la Ve République (assurer la stabilité et l'efficacité du pouvoir) n'est pas nouvelle. On la trouve dans de nombreuses réflexions au début du XXe siècle. Mais le Général de Gaulle va lui donner un retentissement considérable.

Alors que va être soumis par référendum le projet de la Constitution de la IVe République, le Général de Gaulle, qui s'y oppose, prononce un discours à Bayeux, le 16 juin 1946, où il dessine ce que sera, plus de vingt ans plus tard, la Constitution de la Ve République.

Dès 1946, Léon Blum, leader de la SFIO et chef du gouvernement de "Front Populaire" en 1936, a compris la logique du système que le Général de Gaulle veut instaurer et qui deviendra la Ve République : une concentration des pouvoirs aux mains d'un Président de la République élu au suffrage universel.

 

L' élection du Président de la République

Exécutif et cohabitation

Le chef du Gouvernement

Pour une Assemblée nationale souveraine

Le Sénat, gardien de la tradition républicaine

Communistes et gaullistes

Le Conseil d'État, garant de la légalité

Le Conseil constitutionnel

 

L' élection du Président de la République

Aujourd'hui premier rendez-vous national, les élections présidentielles ont longtemps été un événement n'intéressant que la classe politique. Pourtant, le choix du chef de l'État fait partie des grands enjeux politiques depuis 1945. L'élection à la Présidence de la République au suffrage universel du prince Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1848, prélude au rétablissement de l'Empire, conforte l'hostilité durable des républicains à l'institution, a fortiori si elle bénéficie du sacre de la nation. Sous les IIIe et IV Républiques, le Président, élu pour sept ans au scrutin secret à la majorité absolue des assemblées, tire exclusivement sa légitimité de la représentation nationale.

Le 23 décembre 1953, René Coty est élu par le congrès, qui réunit députés et sénateurs à Versailles. Au travers du récit d'un scrutin laborieux, Robert Buron, député du MRP, se fait l'écho de ces "jeux, poisons et délices" du régime parlementaire dénoncés par le Général de Gaulle (grâce à ses commentaires, on constate d'ailleurs que la laïcité reste un thème essentiel de la IVe République). Ce n'est en effet qu'au treizième tour, et après moult tractations entre les groupes, que René Coty succède à Vincent Auriol. Inconnu du public, il n'est pourtant pas ce "Monsieur n'importe qui", décrit ici cruellement par un gaulliste convaincu. Cet avocat qui a commencé sa carrière en 1907 au Havre comme républicain de gauche, a occupé de brèves fonctions ministérielles en 1930 avant d'être élu sénateur en 1935. Bien qu'ayant voté pour la délégation des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, il entre dans l'opposition au régime de l'État français. Partisan en 1946 d'un retour aux institutions de 1875, il est néanmoins nommé ministre de la reconstruction en 1947-1948 puis entre au Conseil de la République dont il devient vice-président. Cet homme de droite modéré incarne la tradition parlementaire, à l'instar de son prédécesseur socialiste, Vincent Auriol.

En 1958, Charles de Gaulle interrompt la tradition selon laquelle le Président de la République est élu par la représentation nationale en établissant, dans la Constitution de la Ve République, le principe d'une élection du Président par un collège élargi de 76 000 électeurs, comprenant les membres du Parlement, des conseil régionaux, des assemblées des territoires d'outre-mer et les représentant élus des conseils municipaux. Mais c'est la réforme de 1962 qui a le plus profondément choqué les républicains de tradition. Par référendum, de Gaulle propose en effet aux Français d'élire le chef de l'État au suffrage universel. La campagne qui précède la consultation, fixée au 28 octobre 1962, se caractérise par une forte mobilisation. cet affichage sauvage des "non", dans la nuit du 18 au 19 octobre 1962, est révélateur de la très forte opposition rencontrée par le projet au sein des partis politiques. A l'exception du parti gaulliste, l'UNR, toutes les forces politiques des communistes aux centristes, appellent à voter non à ce "référendum-plébiscite". Les adversaires du projet expriment la crainte d'un pouvoir personnel et une hostilité de principe à toute forme de démocratie directe, à laquelle s'opposent notamment les parlementaires, convaincus d'incarner seuls la nation. En recourant au référendum, en lieu et place de la procédure prévue à l'article 89 pour réviser la Constitution, de Gaulle marque sa volonté d'établir un lien direct entre le Président et le peuple en court-circuitant ses représentants. L'apostrophe brutale de l'affiche brutale de l'affiche gaulliste joue la carte de l'implication personnelle de chaque Français et met en valeur sa responsabilité de citoyen. Acquise avec 62, 25% des suffrages exprimés, la réforme accentue la dimension présidentielle du régime en conférant au chef de l'État une nouvelle légitimité.

Exécutif et cohabitation

La Ve République marque une rupture dans l'histoire de la fonction présidentielle. Si le statut d'arbitre, énoncé dans l'article 5 de la Constitution, reste dans la logique de la IVe, le chef de l'État possède des pouvoirs propres qui en font un acteur politique de premier plan. Son élection au suffrage universel, à partir de 1965, lui confère une légitimité accrue. En outre, la coïncidence, pendant vingt-huit ans,  entre majorité présidentielle et majorité parlementaire permet au Président de détenir la réalité du pouvoir exécutif. Mais l'expérience de la cohabitation va modifier la donne puisque le Premier ministre peut se prévaloir d'une majorité à l'Assemblée nationale, devant laquelle il est seul responsable. cependant, même privé de majorité, le Président ne se contente pas "d'inaugurer les chrysanthèmes", notamment en matière de politique étrangère et de défense, qui se sont, dans la pratique, imposés comme des domaines réservés. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités (article 5) et il est le chef des armées (article 15). Mais le Premier ministre est responsable de la défense nationale (article 21) et le gouvernement dispose de l'administration et de la force armée (article 20). La première cohabitation de la Ve République (1986-1988) a été émaillée de nombreux incidents. les premières conférences internationales ont donné lieu, entre François Mitterrand et Jacques Chirac, à ce que l'on a appelé la "querelle de la troisième chaise". L'usage est en effet que chaque délégation dispose de deux chaises seulement à la table de conférence, une pour le chef de l'État ou le chef du Gouvernement, l'autre pour un ministre, généralement celui des Affaires Étrangères. Jacques Attali, conseiller de François Mitterrand dans le domaine des Affaires Étrangères, rapporte les tentatives de Jacques Chirac pour assister au sommet du G7 à Tokyo en mai 1986. Finalement, celui-ci sera présent à la conférence de presse finale, mais placé au pied de l'estrade d'où s'est exprimé le Président. Au total cependant, cette première cohabitation n'a pas vraiment gêné l'action diplomatique de la France sur les dossiers les plus importants, que ce soit lors de la conclusion de l'Acte unique européen ou du cycle de l'Uruguay. Lorsque la majorité revient à la droite aux élections législatives de 1993, le Président de la République, le socialiste François Mitterrand, doit appeler à la tête du gouvernement le gaulliste Édouard Balladur. Le soixante-quatrième sommet franco-allemand, qui se tient à Bonn le 30 novembre 1994, illustre le bicéphalisme de l'exécutif en période de cohabitation. On voit ainsi, entourant le chrétien-démocrate Helmut Kohl, chancelier allemand, la double tête de l'exécutif français, le chef de l'État et le Premier ministre. Le poids de ces décisions communautaires, au niveau interne, dans les domaines politique et législatif, et ce qu'il est désormais convenu d'appeler la mondialisation, dans le domaine économique, font que la séparation entre une politique extérieure relevant du Président de la République et une politique intérieure relevant du Premier ministre, n'a plus guère de sens aujourd'hui. En 1994, à Bonn, il y a donc collaboration entre le socialiste et le gaulliste qui "parlent d'une seule voix" pour la France. Une troisième et dernière cohabitation se produit entre 1997 et 2002, cette fois avec le Président gaulliste Jacques Chirac et le socialiste Lionel Jospin. Les relations, durant cinq ans, resteront assez tendues, malgré une bonne entente dans le domaine international.

Le chef du gouvernement

L'instabilité gouvernementale a été l'un des maux de la IIIe République. Ainsi, la Constitution de la IVe République prévoit que le Président de la République, après avoir consulté les responsables politiques, "désigne" le président du Conseil. Celui-ci se présente devant l'Assemblée nationale pour lui soumettre son programme et obtenir son "investiture" à la majorité absolue des députés. Investi personnellement, il choisit alors ses ministres. Le Président de la République les "nomme" ensuite. Cette procédure vise à limiter les marchandages et les pressions lés à la distribution des portefeuilles. Sur l'efficacité de cette rationalisation du parlementarisme, le une su Canard enchaîné du 24 juin 1953 apporte une réponse humoristique, évoquant l'appel de Vincent Auriol aux candidats à la président du Conseil et le "cocktail" auquel il donne lieu le choix de ce candidat. Vincent Auriol, élu en 1947, a déjà procédé, en juin 1953, à la nomination de treize président du Conseil et s'apprête à en nommer un quatorzième. René Mayer (radical), investi le 8 janvier 1953, a dû se retirer le 21 mai, officiellement à cause du refus du MRP d'accorder au gouvernement des pouvoirs spéciaux en matière financière. Derrière ce vote, c'est en réalité la politique européenne du gouvernement Mayer qui est visée. En effet, les députés sont, dans leur majorité, opposés à la ratification du traité de la Communauté européenne de défense (CED), qui entraînerait la constitution d'une armée européenne. Dans ces conditions, Vincent Auriol va successivement désigner Paul Reynaud (modéré), Pierre Mendès France (radical), Georges Bidault (MRP), André Marie (radical), mais ces derniers ne parviennent pas à réunir les 314 voix nécessaires à leur investiture. Après quarante jours de crise, de "stabilité" selon Le Canard enchaîné, Joseph Laniel, un modéré, est investi Président du Conseil dans la lassitude générale. Le journal satirique semblé résigné lui aussi. Fondé en 1915, il a beaucoup perdu de ses lecteurs, sur sa droite comme sur sa gauche : 536 000 exemplaires ont été vendus en 1946, 103 500 en 1953 (les ventes se redressent dans les années 1960). La relative atonie politique, le "refus de choisir entre les deux camps" (Laurent Martin) expliquent-ils les difficultés que connaît alors Le Canard ?

Quinze présidents de Conseil en onze ans sous la IVe République contre dix-neuf en quarante-six ans sous la Ve République : ce bilan souligne l'écart des deux régimes en termes de stabilité gouvernementale. Pour de Gaulle, il était essentiel, en 1958, de donner à l'exécutif une place prééminente dans les institutions de la République et de l'émanciper de la tutelle du Parlement et des partis. Ainsi, le fait que l'Assemblée nationale soit, en règle générale, de la même couleur politique que le Président de la République, a rendu caduque une grande partie des mesures destinées à encadrer l'exercice du contrôle parlementaire. Même si le gouvernement est responsable devant les représentants de la nation, il procède exclusivement du Président de la République qui nomme le Premier ministre sans formalités particulières. Homme du Président, le chef du gouvernement doit être le fidèle "second" qui met en oeuvre les grandes orientations fixées par le chef de l'État. L' "homogénéité de l'exécutif" s'est toujours faite au détriment du Premier ministre : le sort de Michel Rocard e, mai 1991 en est un exemple. Appelé, en mai 1988 à Matignon, par le Président François Mitterrand dont il avait longtemps été, au sein du Parti socialiste, l'un des rivaux, Michel Rocard doit remettre, contraint et forcé, sa démission au chef de l'État qui a décidé de faire appel à Edith Cresson. En théorie, le Président n'a pas le droit de révoquer le Premier ministre, mais, dans la pratique, il a le pouvoir de commander son retrait. Michel Rocard, comme Jacques Chaban-Delmas en 1972 ou Jacques Chirac en 1976, avait eu la volonté de ne pas être un simple exécutant, mais de "déterminer" et de "conduire" la politique de la nation. Cependant, les pouvoirs propres du Président, la durée de son mandat, sa légitimité et la coïncidence de la majorité parlementaire et de de la majorité parlementaire assure, au sein de l'exécutif, la prééminence présidentielle. Seule la cohabitation permet au chef du gouvernement d'échapper à la subordination au Président de la République.

Pour une Assemblée nationale souveraine

Après quatre ans de mise entre parenthèses du régime républicain, l'ordonnance du 21 avril 1944, prise par le Gouvernement provisoire de la République française, prévoit la convocation d'une assemblée constituante. De Gaulle se prononce pour la tenue d'une référendum, fixé au 21 octobre 1945. Le Parti communiste français est particulièrement hostile à cette procédure, y votant une manifestation de l'inclination au pouvoir personnel du général. Le " parti des 75 000 fusillés ", comme il se dénomme lui-même, représente l'une des principales forces politiques du pays. Il adopte une tactique légaliste et unioniste, sous l'impulsion de son secrétaire général, Maurice Thorez, rentré de Moscou en novembre 1944. Contrôlant le Mouvement unifié de la Résistance française, le PCF organise, le 14 juillet 1945, des " états généreux de la Renaissance française ", autour des mots d'ordre d'union contre le fascisme et de " lutte sans merci contre les hommes des trusts et des complots antirépublicains ". Le siège du Comité central, carrefour de Châteaudun, à Paris, qui abrite la librairie du parti, se transforme, à l'occasion de la campagne pour le référendum, en immense panneau d'affichage au service de la propagande communiste. Les slogans ont un caractère unanimiste. Deux banderoles indiquent aux passants les réponses recommandées à l'électeur : " oui " à une assemblée constituante, disposant du pouvoir de rédiger une nouvelle Constitution qui, une fois adoptée, mettrait fin à la IIIe République (à l'exception du Parti radical et de ce qu'il reste de la droite, les forces politiques en présence sont partisans du oui), " non " à l'organisation provisoire des pouvoirs publics, proposée par de Gaulle, qui limite à sept mois la durée des travaux de l'Assemblée (le MRP et les socialistes sont favorables au oui). L'exigence d'une assemblée " souveraine " révèle des espoirs du PCF de peser dans les débats grâce à ses députés. En accord avec l'opinion publique pour la première réponse (96% de suffrages exprimés en faveur du oui), il est plus isolé pour la seconde (33,7% pour le non).
La question des pouvoirs dévolus au Parlement est récurrente depuis 1945. La IVe République se voulait la gardienne des prérogatives d'une Assemblée nationale, centre de gravité de la démocratie. C'est contre cette " République des députés " (Roger Priouret) que se construit la Ve République : la limitation du domaine de la loi comme de la durée des débats budgétaires, la maîtrise de l'ordre du jour de l'Assemblée par le gouvernement, la baisse du nombre des commissions, les procédures du contrôle parlementaire sont conçues dans un esprit favorable à l'exécutif. Si l'hégémonie parlementaire disparaît (et avec elle tous les grands orateurs), l'abaissement du Parlement, depuis 1958, a été bien au-delà des prévisions, sous l'effet notamment du phénomène majoritaire, coïncidence entre majorités présidentielle et parlementaire. Laurent Fabius, président socialiste de l'Assemblée nationale entre 1988 et 1992, s'en inquiète, en octobre 1988, à l'occasion du trentième anniversaire de la Ve République. Au dessaisissement du Parlement inhérent, depuis les années quatre-vingt, à l'affirmation des collectivités territoriales et des institutions européennes, il faut ajouter la prolifération de comités ou commissions (parfois ad hoc, c'est-à-dire créées pour la circonstance), le plus souvent rattachés au Premier ministre et composés en grande partie de hauts fonctionnaires, qui ne disposent d'aucune légitimité démocratique. Cette " ad-hocratie " que fustige Laurent Fabius se développe parallèlement à une intervention croissante des médias dans le champ politique. La montée de l'antiparlementarisme est sensible au travers notamment des succès du Front National, principal parti d'extrême droite, à partir de 1984. La nécessité de revaloriser et de moderniser le Parlement, défendue à droite comme à gauche, a conduit le Président de la République socialiste, François Mitterrand, élu en 1981 et réélu en 1988, à initier une réforme qui a abouti, en août 1995, principalement à l'instauration d'une session parlementaire unique de neuf mois et une modification du régime de l'immunité parlementaire tendant à faire du député un justiciable comme les autres. Mais ni ces mesures, ni la multiplication des questions au gouvernement, ni celle des commissions d'enquête parlementaire, ni la retransmission télévisée hebdomadaire de certaines séances (complétée sur le câble par le Chaîne parlementaire-Assemblée nationale et Public Sénat) n'ont permis de redonner au Parlement le rôle perdu.

Le Sénat, gardien de la tradition républicaine

En 1946, les constituants n'avaient pas voulu d'une seconde chambre qui aurait ressuscité le Sénat, symbole du conservatisme de la IIIe République. Le Conseil de la République est donc conçu comme une chambre re réflexion. A partir de 1958, le rôle du Sénat est bien supérieur. Néanmoins, les sénateurs élus au suffrage indirect par un collège de grands électeurs (députés, conseillers généraux puis régionaux, délégués des conseils municipaux) n'ont ni les moyens de renverser le gouvernement (même si l'article 20 de la Constitution précise que celui-ci est responsable devant le Parlement), ni de s'opposer durablement à l'Assemblée nationale dans le processus législatif ordinaire. Il en va autrement pour les révisions constitutionnelles. Le projet de loi instaurant l'élection du chef de l'État au suffrage universel, proposé par Charles de Gaulle en conseil des ministres, le 12 septembre 1962, place ainsi le Sénat et son président, le radical Gaston Monnerville, au premier rang de la lutte politique. Ce dernier prononce, le 9 octobre, un discours mémorable à la suite de sa réélection à la tête de la haute assemblée qu'il préside depuis 1947. Le 30 septembre, il a dénoncé la "forfaiture" du général de Gaulle, galvanisant une opposition qui vote, le 5 octobre, une motion de censure. De gauche à droite, on dénonce le choix de la procédure du référendum fait par de Gaulle en violation de la Constitution. C'est l'article 89, réglant toute révision constitutionnelle, qui aurait dû s'appliquer et non l'article 11, qui ne peut concerner qu'un projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics.

L'opposition des sénateurs au contenu de la réforme est profonde. D'abord, elle touche directement le président du Sénat. Deuxième personnage de l'Etat, celui-ci remplace provisoirement le Président de la République en cas d'empêchement. Or, de Gaulle propose une modification de l'article 7 qui restreint les pouvoirs du Président intérimaire. En outre, pour une partie de la classe politique, toute forme de démocratie directe est suspecte. L'élection du Président de la République au suffrage universel fait donc courir un danger à la démocratie en conférant à un seul homme, à l'échelon national, la légitimité du suffrage universel. Mis en "quarantaine", le Sénat est encore, en 1969, en opposition au Général de Gaulle qui veut le réformer. C'est le centriste Alain Poher, son nouveau président, qui mène la charge conte le projet de loi relatif à la création des régions et à la rénovation du Sénat. Charles de Gaulle fait encore appel à l'article 11. En effet, s'il dispose d'une majorité confortable à l'Assemblée nationale, le Sénat, directement concerné par la révision, lui est plus que jamais hostile. En outre, si la procédure reste toujours juridiquement contestable et contestée, il peut désormais se réclamer du précédent de 1962. De Gaulle propose la fusion du Sénat et du Conseil économique et social. Cette assemblée regrouperait ainsi des représentants des collectivités locales, élus dans le cadre des nouvelles régions, et des membres nommés sur propositions d'organisations professionnelles, économiques et sociales, la surreprésentation de la France rurale au Sénat nourrissant les critiques. Mais Alain Poher souligne surtout la contradiction existant entre des élus du peuple et des mandataires d'organisations particulières sans légitimité populaire. Par ailleurs, le Sénat perd la quasi-totalité de ses pouvoirs devenant, à l'instar de l'ancien Conseil de la République, un organe consultatif. Le 27 avril 1969, 53% des votants contre 47% ont rejeté la réforme du Sénat. Le 28 avril, de Gaulle, qui avait, comme toujours, engagé sa responsabilité sur les résultats du référendum, démissionne. Son souci de représentation des intérêts professionnels, déjà présent dans le projet constitutionnel de Bayeux en 1946 (non exempt d'un désir de revanche) s'est heurté à l'attachement des Français à un organe s'affirmant comme le défenseur des libertés et traditions républicaines.

Communistes et gaullistes

En démocratie, les partis politiques sont d'indispensables médiateurs dont le rôle est triple : agréger et hiérarchiser les demandes des citoyens sous la forme de programmes, contribuer à la formation de l'opinion et à son information, sélectionner le personnel politique, ceci dans le but d'accéder au pouvoir. En 1945, le paysage politique est bouleversé et donne naissance à un système dominé par trois grands partis : le MRP, fondé en 1944, la SFIO, fondée en 1901, et le PCF, fondé en 1920. Ce dernier est le plus important (800 000 adhérents en 1946 selon ses propres chiffres). Il se réclame du marxisme-léninisme et a pour objectif la révolution. Il n'en néglige pas pour autant la voie légale et compte soixante-douze députés en 1936. La signature de pacte germano-soviétique en août 1939 désorganise le parti. Mais l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'URSS, en 1941, permet aux communistes, rompus à la clandestinité, d'entrer massivement dans la Résistance. En janvier 1945, date d'un meeting communiste au Vélodrome d'hiver, la guerre bat encore son plein avec la contre-offensive des Allemands dans les Ardennes. Mais le PCF apparaît comme un parti triomphant. Extrêmement discipliné, régi par le principe du centralisme démocratique, il bénéficie d'une double aura : celle de ses militants résistants morts en grand nombre et celle des victoires héroïques de l'Armée rouge. La liturgie du meeting au Vélodrome d'Hiver (Paris) reflète les mots d'ordre d'union nationale et internationale dans un lieu hautement symbolique (puisque là ont été enfermées, avant d'être envoyées dans des camps, les personnes arrêtées lors des grandes rafles des 16 et 17 juillet 1942). Le Parti communiste restera, jusqu'en 1981, l'une des grandes forces politiques du pays, drainant pendant toute la période au moins 20% de l'électorat.

L'autre grand bénéficiaire du mythe de la France résistante est le parti gaulliste, qui va dominer la droite tout au long des années soixante. L'UDR est issue de l'UNR, créé en 1958, elle-même héritière du RPF, animée par de Gaulle de 1947 à 1953. Georges Pompidou, élu Président de la République en juin 1969, a adopté l'héritage gaulliste et cherche à en assurer la pérennité. Le symbole, la croix de Lorraine, rappelle le gaullisme des origines, celui de la France libre. Enraciné dans le passé, l'UDR se veut aussi un parti de l'avenir. La période du gaullisme triomphant s'achève : le parti n'a plus à lui sel la majorité et, en 1974, la mort de Georges Pompidou va signer la fin de l'unité du parti, sa succession opposant Jacques Chaban-Delmas et Jacques Chirac. Ce dernier va soutenir Valéry Giscard d'Estaing à l'élection présidentielle de 1974 contre son aîné gaulliste. La même année, il prend la tête de l'UDR avant de la transformer en RPR, en décembre 1976.  

Le Conseil d'État, garant de la légalité

Mis en place par la Constitution de l'an VIII (1799) sous la forme d'une assemblée d'experts légistes, le Conseil d'État a vu redéfinir ses fonctions en 1872. Elles ont peu changé depuis cette date : il est conseiller du gouvernement et juge suprême de l'administration. Il est obligatoirement consulté par le gouvernement et rend des avis pour tous les projets de lois, d'ordonnances (actes administratifs pris dans des matières législatives et signés par le Président de la République), pour certains projets de décrets (actes administratifs signés par le Premier ministre) et dans le cadre de la transposition des actes communautaires en droit français (deux mille textes par an au total). Le gouvernement peut également sollicité son avis sur tout autre question d'ordre juridique. En 1989, le Conseil d'État est sollicité par Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, sur le port de signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires. La rentrée a été marquée par la multiplication des jeunes élèves portant " le foulard islamique ", surtout dans les collèges des quartiers où règne un certain militantisme. L'exclusion d'un collège de Creil (Oise) de trois élèves coiffés d'un " foulard islamique " suscite une vive polémique qui oppose, dans la presse, les intellectuels craignant une manipulation des enfants par des intégristes et refusant un " Munich de l'école républicaine ", à ceux qui redoutent un " Vichy de l'intégration des immigrés ", aggravant l'exclusion au profit des extrémistes. Entre permission et interdiction, le Conseil d'État, au nom de la tolérance, privilégie les solutions au cas par cas : le port de signes religieux n'est incompatible avec la laïcité que s'il est ostentatoire et facteur de prosélytisme. Un second avis sur le sujet, le 2 novembre 1992, ne dissipe pas le flou du premier ni le malaise des enseignants face à une floraison sporadique de foulards. En 1994, le nouveau ministre de l'Éducation nationale, François Bayrou, demande que l'interdiction des signes ostentatoires soit inscrite dans le règlement intérieur des établissements. Loin d'être résolue, la question devient cependant récurrente car d'autres confessions s'estiment concernées. Néanmoins, dès la rentrée 2004, tout port de signes ostentatoires sera désormais sévèrement réprimandé, suite à la loi relative au " port du voile à l'école ". Par ailleurs, le recours pour excès de pouvoir permet de déférer un acte administratif devant le juge administratif. Ainsi, le Conseil d'État a été saisi à plusieurs reprises, cette fois en tant que juridiction administrative, par des parents d'élèves exclues de leur établissement pour avoir porté le foulard. De façon plus générale, environ dix mille requêtes, émanant de particuliers, d'entreprises ou d'associations sont ainsi traitées chaque année dans des arrêts rendus par le Conseil d'État, qui couronne l'ordre de la justice administrative comme juge d'appel et de cassation pour les affaires jugées par les autres juridictions administratives (tribunal administratif, cour administrative d'appel). Les deux cent hauts fonctionnaires (auditeurs, maîtres des requêtes, conseillers) qui siègent au Palais-Royal jugent ainsi si les actes administratifs sont conformes à la Constitution, aux engagements internationaux et notamment au droit communautaire, à la loi, aux principes généraux du droit (principes de valeur législative dégagés par la jurisprudence du Conseil d'État et touchant principalement aux libertés fondamentales). Par là, ils constituent un rempart contre les abus de pouvoir, les erreurs ou les carences de l'administration et garantissent l'égalité entre les citoyens.

Le Conseil constitutionnel

Sous le Consulat et l'Empire, le contrôle de constitutionnalité, qui consiste à examiner la conformité de certains textes à la Constitution, était confié au Sénat. Mais pour les républicains, la loi, émanation de la volonté générale, ne pouvait être limitée sans qu'il soit porté atteinte à la démocratie. Le Comité consultatif constitutionnel, instauré en 1946, est donc une nouveauté, mais son rôle est très restreint et il ne sera saisi qu'une fois. Tout autre est la place dévolue au Conseil constitutionnel créé en 1958. Il comprend neuf membres nommés, pour un seul mandat de neuf ans, à parité par le chef de l'État (qui choisit le Président dont la voix est prépondérante en cas d'égalité) et par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il se renouvelle par tiers tous les trois ans. Sont membres de droit les anciens Présidents de la République. Le Conseil constitutionnel occupe deux fonctions principales. En tant que juge électoral, il veille à la régularité des élections de dimension nationale. Sont donc exclues les élections au Parlement européen, les municipales, cantonales et régionales soumises au contrôle du Conseil d'État. En tant que juge constitutionnel, il contrôle la constitutionnalité des lois, de façon obligatoire pour les lois organiques (relatives à l'application des articles de la Constitution et au statut des magistrats) et les règlements des assemblées parlementaires, et de façon facultative pour les lois ordinaires et les traités avant leur promulgation ou leur ratification. A l'origine, il peut être saisi par le Premier ministre, par le Président de la République ou par le président de l'une des deux assemblées. Théoriquement arbitre des conflits entre l'exécutif et le législatif, le Conseil constitutionnel a été explicitement conçu pour protéger le gouvernement et apparaît à beaucoup comme le " garçon de courses du général de Gaulle " dénoncé en 1964, dans Le Coup d'État permanent par François Mitterrand. Jusqu'en 1971, la pratique du Conseil constitutionnel, largement brocardée par le futur Président de la République, conforte les a priori de ses adversaires. Son rôle est d'ailleurs limité : avant 1974, il n'a eu l'occasion d'examiner la conformité d'une loi ordinaire à la Constitution qu'à neuf reprises. En outre, lors d'occasions importantes, comme en novembre 1962, où il avait été saisi par le président du Sénat de la loi sur l'élection du Président de la République au suffrage universel, le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent. Or, en dépit de ses débuts difficiles, le Conseil constitutionnel, dont l'existence n'est plus contestée, apparaît aujourd'hui comme le garant de l'État de droit et comme un facteur d'équilibre de la démocratie. En effet, le 16 juillet 1971, saisi par le président du Sénat à propos d'une loi touchant la liberté d'association, il déclare pour partie inconstitutionnelles les dispositions législatives prévues, en s'appuyant sur le préambule de la Constitution de 1946. C'est la naissance du " bloc de constitutionnalité " qui transforme le Conseil constitutionnel en un gardien de la Constitution, au services des droits et des libertés des citoyens. Pour la première fois, il s'est prononcé sur un problème de fond et plus seulement sur la question des répartitions de compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif. Toutes les forces politiques (sauf l'UDR) ont alors réclamé l'élargissement de la saisine. Ce qui devient réalité le 21 octobre 1974 : désormais, soixante députés ou autant de sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel. L'opposition a ainsi ma possibilité d'y recourir. Depuis, la question d'un élargissement de la saisine aux citoyens a été posée (elle est pratiquée aux États-Unis auprès de la Cour suprême). Mais, en 1990, le rejet par le Sénat d'un projet de révision en ce sens prouve que les méfiances restent vives chez les parlementaires à l'égard d'une mesure qui réveille la crainte d'un " gouvernement des juges ".

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